AWESOME
   si dieu existe, je ne veux pas le savoir

(novembre 1996 - NY - villa des Laeddis)

Avant que les larmes ne débordent.
Avant qu'il ne se réveille.
Avant que monsieur ne rentre.

Elle traverse le hall, juchée sur ses talons de douze.
Abandonne sur la table basse une enveloppe blanche.
S'approche du berceau.
Elle regarde son enfant.
et elle l'aime.
Pourtant dans sa main droite, il y a cette valise Gucci.  
Son regard vogue jusqu'à la porte d'entrée de la villa,
où elle vit dans l'ombre de son mari.
Beauté sauvage aux cheveux d'ébène.
Elle regarde son enfant.
et elle n'y voit pas l'avenir.
Pas celui qu'elle s'est choisi.
Son rêve c'était de devenir actrice, pas d'éduquer un fils.
Elle caresse la joue rebondie de bébé, du bout de ses ongle vernit.
Son visage est crispé par la décision qu'elle a déjà prise.
Elle regarde son enfant (une dernière fois).
et elle s'en va.

***

(janvier 2010 - NY - villa des Laeddis)

Peter, t'es contrarié ce soir.
tac-tac-tac-tac.
tac-tac-tac-tac.
Tes doigts rebondissent nerveusement sur la table.
Tu fixe ton portable qui ne sonne pas.
Ce stupide portable qui ne sonne jamais quand c'est important.
Une main rageuse passe dans tes cheveux bruns. La brutalité du geste fait luire une boucle d'oreille dans la pénombre. Tu avales une goulée d'un bourbon hors de prix avant d'attraper ton téléphone. T'enfonce la touche pour rappeler ton père,
encore.
ça fait jamais qu'un mois que t'es sans nouvelles. Tu ronges l'ongle de ton pouce avec impatience. tonalité, tonalité.
Putain de tonalité.
Lorsque tu tombes sur la messagerie pour ce qui te semble être la millième fois, c'est un hurlement qui s'échappe de tes lèvres. « PUTAIN MAIS MERDE ! » tu balance ta bouteille excessivement chère le plus fort possible contre l'écran plat dernier cri qui te fait face. Ce dernier bascule dans un bruit terrible d'objet brisé. Mais tu t'en branles complètement, c'est à peine si tu t'en es rendu compte. T'es déjà debout, les mains dans les cheveux. Tu tente de te calmer un peu, avant de composer un autre numéro, celui que tu n'utilise qu'en dernier recours. Enfin, on décroche.
« Faut que je parle à mon père. » lâches-tu avec animosité, c'est un ordre que tu donnes.
A l'autre bout du fil, la secrétaire de ton père t'explique qu'elle ne peut malheureusement pas lui transmettre ton appel. Elle prétexte une réunion importante  mais t'es absolument pas dupe. « Quelle réunion ? » t'as la bouche un peu sèche tout à coup. « Je croyais qu'il était à Paris ? »
T'apprends abruptement qu'il est rentré il y a quinze jours, mais qu'il a jugé bon, ni de t'en informer, ni de venir te voir.  « Est-ce que je dois lui transmettre un messa.. » t'as déjà raccroché. T'en tremble de rage, tu traverses le salon avec raideur jusqu'à l'immense cuisine ultra sophistiquée que personne n'utilise jamais à part « ROSA. » la femme de chambre, (également chargée de te maintenir en vie depuis que tu as quatre ans. Elle aurait pu symboliser un mère de substitution, si tu te comportais pas comme un tel connard avec elle. On entend le bruit de ses pas résonner dans les couloirs bien avant de pouvoir l'apercevoir. « Oui monsieur ? » tu la toise. « Tu crois que t'es payée à regarder les mouches voler ? » craches-tu avec dédain en la prenant de haut. Tu trouves un cigarette et l'allume à l'aide de ton Dupont. « Non monsieur. » te répond-elle en plissant les yeux, mais tu lui souffle au visage. « Tu attends quoi pour aller ranger le salon dans ce cas ? » elle s'apprête à quitter la cuisine, mais tu te places dans l'encadrement de la porte, t'en as pas encore terminé. « Commande un nouvel écran plat. Demain je veux que tout soit nickel, j'organise une soirée. » « Bien monsieur. »

***