Il y a des jours où l'on fait des erreurs. Ou plutôt, des jours où l'on a dû mal à dire non. Ou en fait, non, ça c'est juste moi qui ai souvent du mal à dire non. Comme aujourd'hui. Je travaille chez un disquaire, en tant qu'employée, à standford alley. Mais, ce disquaire est tenu par un monsieur, monsieur Stewart, la cinquantaine passée, très gentil, mais parfois très lourd. Et monsieur Stewart souhaitait aujourd'hui m'inviter à déjeuner, pour remercier du bon travail que j'effectuais, de façon assidue, et avec passion. J'ai d'abord dit que ce n'était pas la peine, et que cela me gênait, mais Stewart a insisté. Et puis, comment dire non à son patron ?

Voilà pourquoi je me retrouve assise ici, au Madisons Grill, en face de mon patron. Je suis plutôt gênée, et je ne sais pas quoi dire comme d'habitude. Stewart essaie de meubler la conversation tant bien que mal, avec des blagues plus ou moins douteuses, auxquelles je m'efforce de rire, même si ça ne me fait absolument pas rire. Voilà aussi, une des raisons pour lesquelles je ne voulais pas venir déjeuner avec mon patron : je n'ai aucune conversation. Je ne sais jamais quoi dire pour faire la discussion. C'est simple, je suis discrète, pas très loquace et en plus de ça timide. Qu'est-ce que tu veux faire de ça ?

Et alors que le silence devenait plus que gênant, un serveur vient prendre nos commandes. Chacun fait son choix, puis le serveur repart. Stewart commence à me poser des questions sur ma vie, mes raisons qui m'ont poussé à venir ici à white oak. Les pieds dans le plat, haha, de quoi rendre la conversation de plus en plus gênante... Pitié, que quelqu'un me sorte de cet enfer !

Pour faire plaisir à Dimitri, Jennifer et moi avions décidé d'accepter de déjeuner avec sa petite amie, Beth, avec qui nous ne nous étions jamais entendues. Bien évidemment, Dimitri ne serait pas là et nous n'aurions pas la chance, Jen et moi, de bénéficier d'une tenue parfaite de Beth qui nous détestait autant que nous, sinon plus.
Me préparer pour ce déjeuner avait été une vraie torture et le dénouement avait été pire. Ma chère meilleure amie me faisant faux bond, je restais la seule à rester pour tenir compagnie à la tout aussi charmante que peste petite amie de Dimitri. Surtout que j'avais été là plus pour le décor que pour un réel effort de ma part.

C'est ainsi que nous nous retrouvions, Beth et moi, en tête à tête, à manger ensemble. Pour une fois, et surtout parce que nous étions en public, j'avais refusé de m'abaisser au niveau de ma voisine à lui cracher au visage tout plein d'insultes que j'aurais réitérées dans la soirée, une fois tout le monde présent dans notre "bande". Je me retrouvais donc, comme une imbécile, à tripoter ma fourchette, incapable de manger plus que deux cuillerées de mon pourtant succulent repas.

Et, plus le temps passait et plus je me demandais ce qui me retenait ici, à cette table, excepté un plus qu'ennuyeux repas, où nous évitions de croiser nos regards et lors duquel aucun mot ne sortait de nos bouches, pas même pour échanger quelque banalité comme toute personne civilisée sait le faire. Peut être n'étions nous simplement pas des personnes civilisées lorsque nous nous retrouvions toutes les deux dans le même rayon d'un kilomètre...

N'y tenant plus, je me levais soudain et croisais alors le regard de ma voisine de tablée. « Bon, allez, ça suffit. Je me tire de ce silence morbide. » Je regardai vaguement autour de moi et, loin de là, vis quelqu'un qui semblait s'ennuyer autant que moi. Comme il me fallait me divertir un peu et que je voulais faire enrager Beth puisque je savais qu'elle détestait se faire abandonner, j'affichais un grand sourire et m'approchait de la personne en question. « Hey, salut ma belle, tu vas bien? Ca fait un bail dis moi! » Très ironique puisque la jeune femme semblait être assez jeune par rapport à moi.

Alors que je me lamente d'être ici en face de mon boss, à prier que quelqu'un me tire de là, je vois une fille se lever, quelques tables plus loin et partir. Moi aussi, j'aimerais tellement partir d'ici... C'est une jeune femme dans la vingtaine, les cheveux longs bruns, et une silhouette élancée. Elle avance d'un pas décidé... vers moi. Avec un grand sourire ? What ? Merde, j'ai dû la fixer vachement longtemps, elle a dû croire que je la draguais ou quoi... pourquoi je me fous tout le temps dans la merde, moi ?

Le fille en question m'aborde comme si nous étions des amies qui se sont perdues de vues depuis longtemps. Je suis un peu sur le cul, ne sachant pas quoi faire. Je réfléchis, réfléchis... merde, cette fille me connaît et moi, je ne me souviens pas d'elle ! Mon cerveau cherche dans l'album photo qui remplace mon cerveau et ne trouve rien. Quoiqu'il en soit, je fais comme ci je me souvenais d'elle, et saute sur l'occasion - peut-être la seule d'échapper à cet affreux déjeuner !

« Tiens ! Oui, ça va bien et toi ? Ça fait tellement longtemps, que deviens-tu ? Oh, tu veux qu'on aille boire un verre quelque part..? Attends, deux minutes. »

Avant qu'elle ne me réponde, je me tourne vers mon patron, et prends un air faussement désolé.

« Monsieur Stewart, je suis sincèrement désolée, je n'ai pas vue cette personne depuis tellement longtemps... Tenez, voici vingts dollars pour le repas déjà commandés, dis-je en lui tendant un billet, je suis vraiment désolée, on se voit à la boutique demain ? Bon appétit ! »

Puis, rapidement, je prends mes affaires et suis mon "amie" à l'extérieur du restaurant. Silence gêné. C'est une situation étrange, quand même. Vraiment. Je me tourne vers la jeune femme.

« Euh, excuse-moi, mais... je ne te reconnais pas du tout, en fait. J'ai sauté sur l'occasion pour fuir ce déjeuner avec mon patron, donc si tu pouvais me rappeler ton prénom, j'aurais l'air moins ridicule, je pense... »

Je ne savais pas vraiment quelle mouche m'avait piquée. Excepté l'ennui indéniable face au manque de communication entre Beth et moi -entre ennemies en public, c'est difficile de se parler normalement!- je n'avais eu aucune raison complètement valable de laisser mon interlocutrice muette seule, soudainement. Enfin, la haine que je lui vouais mise à part bien sûr.

Et, face à ma nouvelle proie pour le bavardage, je voyais bien que je n'aurais peut être jamais dû prendre l'initiative de la couper dans sa discussion. D'autant que je voyais dans son regard qu'elle cherchait à se rappeler mon visage. Non jolie demoiselle, tu ne me connais pas. Ou alors le hasard s'était trouvé un bon sens de l'humour aujourd'hui. Mais malgré tout, je souris, soulagée, quand je vis qu'elle se prenait au jeu.

Je ne m'étais donc pas trompée puisqu'elle saisissait l'occasion pour se tirer d'affaire. J'attendis qu'elle finisse son affaire rapidement, m'efforçant de regarder ailleurs. Je n'étais pas la reine du tact, mais je ne supportais pas de m'imposer et de m'intéresser à une conversation qui ne me regardait pas, tout comme je ne supportais pas qu'on le fasse avec moi.

Une fois dehors, elle me regarda plus gênée qu'autre chose. Le silence ne me dérangeait pas, mais visiblement, le silence avec une inconnue, pour elle, c'était infaisable. Tant mieux, puisque bavarder était ma troisième passion après danser et me taire.
Je lui lançais un petit sourire compatissant. La pauvre, j'avais dû la mettre bien plus dans l'embarras que je ne le pensais. « C'est normal! » Je retenais un petit rire, me contentant d'élargir encore mes lèvres en un sourire encore plus grand. « En fait, à dire vrai... je ne te connais pas, c'est juste que moi aussi j'avais besoin de fuir et... c'était visible que tu n'étais pas trop à ton aise là où tu étais... donc j'ai pris la liberté de... enfin, bref, moi c'est Catalina. Mais tu peux m'appeler Lina si tu préfères! »

C'est normal ? Comment ça, c'est normal ? La fille en face de moi se met à sourire largement. Quoi, j'ai dit une connerie ? Ou alors elle se fout de ma gueule ? En voyant ma tête, elle décide de m'expliquer le pourquoi du comment. Ah donc, on ne se connaît pas. Et on vient de faire semblant devant des gens, alors que nous sommes de parfaites inconnues.

« Ah, d'accord, donc je ne suis pas folle... Mais merci en tout cas, tu m'as vraiment sorti d'un déjeuner horriblement gênant... »

Plutôt singulier comme première rencontre. Puis, au final, ça nous a bien arrangées, autant elle que moi, apparemment. La fille se présente, Catalina. J'aime bien, c'est chantant.

« Je m'appelle Elsa Beth. Les gens raccourcissent généralement en Elsa, ou Beth. », dis-je pour me présenter.

Retour du silence gênant. Je ne suis décidément vraiment pas douée en ce qui concerne les premiers rapports humains. J'ai soudainement envie de fumer. Ça pourrait aussi être l'occasion de proposer une cigarette à Catalina et de discuter un peu. Je fouille dans mon sac, à la recherche de mon paquet de clopes. Une fois celui-ci trouvé, j'en sors une du paquet et la porte à mes lèvres, puis en propose une à ma complice. J'allume ma cigarette et tire une taffe avant de demander à Catalina :

« Qu'est-ce que tu cherchais à échapper toi, du coup ? »

Elle me raconte son histoire, tandis que je tire une nouvelle fois sur ma cigarette, tout en passant une main dans mes cheveux. Puis lorsqu'elle finit, le silence s'impose à nouveau. Puis, il est brisé par mon ventre qui gargouille. Merde, je crève la dalle en fait. Cette fille a l'air plutôt sympa.

« T'as faim ? Ça te dirait d'aller manger quelque part - loin d'ici ? »

Je sais très bien que c'est dans une situation des plus inhabituelles dans laquelle je l'ai fourrée. J'espère très sincèrement qu'elle ne m'en veut pas plus que ça. Sinon quoi, je n'ai plus qu'à rebrousser chemin et aller m'excuser auprès de l'homme qu'elle a laissé tomber pour me suivre. J'aurais très volontiers compatis si ça ne m'avait pas permis d'échapper moi-même à la torture de la présence de Beth. C'était assez égoïste de penser ainsi, mais pour le coup, je n'avais pas eu le choix.

« Non tu ne l'es pas... Et tu ne le serais pas non plus si jamais tu m'en voulais d'avoir pris la liberté de venir te parler. Mais de rien, je t'avoue que moi non plus mon déjeuner n'était pas des plus intéressants et... du coup, je suis venue... Taper l'incruste... C'est ça ? » Demandai-je, tout à coup incertaine de cette expression que je n'avais jamais utilisée de toute ma vie, mais plutôt entendue pendant mes cours de danse.

« Enchantée Elsa Beth! » lui répondis-je en un sourire d'autant plus grand. Au moins, ma décontraction m'aurait permis de faire une nouvelle rencontre, c'était déjà ça ! Puis, en dehors de ma bande d'amis -pleine de gens avec qui je ne m'entendais pas particulièrement bien d'ailleurs- j'avais besoin de prendre un peu l'air alors croiser de 'nouvelles têtes' n'était pas une si mauvaise chose.

Je la regardais. Un peu gênée soudain, je passais la main dans mes cheveux. Pour me donner de la contenance, j'accepte de prendre une cigarette dans le paquet qu'elle me tends. En tant que professeur de danse et ancienne sportive de haut niveau, je sais que c'est mauvais pour ma santé. Mais une fois de temps à autres, ce n'était vraiment pas ce qui risquait de me tuer. « Si je te le dis, tu vas me prendre pour une folle... Enfin, bref, je tentais d'échapper à ma pire ennemie... Qui est la copine du gars sur qui ma meilleure amie craque et... Jen, ma meilleure amie, m'a fait faux bon, alors par respect pour Dimitri, je suis allée malgré tout au déjeuner histoire de ne pas laisser sa copine toute seule... et disons que la situation était embarrassante et agaçante à la fois, quand bien même ce serait impossible. » Je lui adressais une petite moue. J'avais conscience de passer pour une totale déjantée, mais au fil du temps, j 'avais fini par avoir l'habitude.

Je tire sur ma cigarette, laissant le goût de la fumée chaude imprégner mon palais, mes narines et mon cerveau par la même occasion. Finalement, c'est pas si mal que ça. Je souris, échappant avec un petit rire. « Ma pauvre je t'ai coupé en plein milieu de ton repas! Tu me diras moi non plus je n'ai pas beaucoup manger... Si ça peut me faire pardonner, tu choisis où on va, et je t'invite! »

Catalina m'explique que - comme moi, mais ça elle ne le sait pas encore - elle cherchait à échapper à quelqu'un. Je comprends vaguement qu'il s'agit de sa pire ennemie... Si elle vient déjeuner avec elle, c'est qu'elle ne doit pas la détester tant que ça, si ? Je ne comprends pas trop. J'essaie d'accrocher à ses explications, j'entends des noms, des relations, mais il est difficile pour moi de suivre, alors je m'en tiens au fait qu'elle déjeunait simplement avec une personne qu'elle n'apprécie pas.

Elle tire alors sur la cigarette que je lui ai offerte plus tôt. Je l'imite. Le silence s'immisce entre nous, rapidement brisé par mon ventre qui gargouille. C'est vrai que je suis partie avant que le serveur nous serve l'entrée, et mon ventre est désespérément vide. Je propose donc à ma nouvelle connaissance d'aller manger quelque part, et si possible, le plus loin d'ici. Elle répond à ma proposition avec un sourire, suggérant que je choisisse le lieu.

« Ouh là, hm... je connais pas beaucoup d'endroit où on peut manger en fait, haha, je suis pas là depuis très longtemps, commence-je, néanmoins, il y a un bar à bagels pas loin de l'endroit où je travaille, si ça te tente ! »

Ma comparse me sourit en signe d’approbation, et nous mettons en route. Je fume ma cigarette tranquillement, tout en lui expliquant le pourquoi du comment j'apprécie le lieu vers lequel nous nous dirigeons.

« Ça s'appelle le Trendy Place. C'est plutôt d'inspiration New Yorkaise, pour la déco, il y a généralement des petits groupes indépendants qui viennent jouer, donc l'ambiance est plutôt sympa, tout comme ce qu'on y mange. Je suis plutôt contente d'avoir un endroit pareil juste à côté de mon taff. », explique-je.

Quelques minutes de marche plus tard, nous nous retrouvons au Trendy. Un jeune homme nous accueille, et nous place à une table. Nous nous installons en silence. Je souris timidement à Catalina.

« Du coup, ça fait longtemps que t'es à White Oak ? », demande-je.

HRP : désoléééée pour cet énorme retard - je t'avais totalement oubliée... en plus, c'est un peu court, j'ai essayé de faire un peu avancer l'action, je m'excuse platement

La situation est un peu gênante, dans le sens où je me rends soudainement compte qu'Elsa-Beth m'a beaucoup servi d'échappatoire et que ce n'est pas quelque chose de très sympathique de ma part de m'être en quelque sorte servi d'elle. Mais elle n'a pas l'air de m'en tenir rancune. Nous passons donc rapidement à autre chose.

Le silence s'est imposé doucement entre nous. Une fois encore, de mon côté, il ne me gêne pas. J'ai beau être extrêmement bavarde, je me doute bien que cette demoiselle n'a pas forcément envie de se taper une discussion avec "une vieille", puisque je m'étais déjà prise cette réflexion dans les dents, du haut de mes vingt-cinq ans. J'inspirai.

« Tu dois me prendre une tarée avec tout ça. D'autant que c'est loin d'être une histoire simple. » je lui souris. De toute façon, je n'avais rien d'autre à faire paraître. Qu'on me prenne pour une folle ou une personne saine d'esprit, à mes yeux, c'était pareil.

Je lui propose alors de choisir un lieu. Son ventre qui gargouille, le mien qui est littéralement resté sur sa faim, nous n'avons pas trop le choix, il faut que nous mangions. Quand elle me propose, j'acquiesce. J'ai beau vivre ici depuis une petite vingtaine d'années, j'ai toujours du mal à connaître des endroits intéressants, d'autant que ma vie se résume à métro, boulot, dodo en général.
« Je ne suis jamais allée à New York... » fais-je, pensive. Après tout, c'est vrai. Depuis le temps où je vis en Amérique du Nord, je ne suis jamais vraiment sortie du Canada. « Oh ? tu travailles dans quoi? »

Nous nous mettions en marche pour ledit bar. Elle me l'avait tellement bien présenté que je m'imaginais déjà me régaler, et rassasier la part d'estomac laissée pour compte quand j'avais tout simplement lâché prise et était partie. Hmm... je me rendis soudainement compte que le déroulement de tout ça n'allait pas forcément plaire à Dimitri. Entre Jen et moi, il avait de quoi être doublement déçu. Mais je n'avais vraiment pas envie de me prendre la tête avec une personne que je haïssais pour ses beaux yeux. Non, je l'avais fait pour Jen, et le fait qu'elle m'abandonne à mon sort ne me faisait pas culpabiliser le moins du monde, je n'avais pas vraiment d'engagement, sauf en ce qui concernait la colocation. En fait, si je culpabilisais, c'était seulement pour et à la place de Jenifer.

Nous arrivions rapidement au Trendy, où on nous accueillit et nous plaça à une table quasiment instantanément. « Plus ou moins... Ça fait un peu plus de vingt ans, mais j'ai pas toujours l'impression que ça fait autant. J'ai parfois du mal à trouver mes marques, même si je connais la ville pas si mal que toi. Et toi? »

HRP: ne t'inquiète pas ♥ moi aussi ça doit être un peu court je pense, et j'étais pas mal occupée, donc pour une fois que c'était pas moi qui faisait attendre