~ À QUOI RESSEMBLAIT TA VIE AU LYCÉE?
disons que je ne considère pas cette époque comme les meilleurs souvenirs de ma vie et avec raison. la plupart de mes fidèles amis étaient des garçons, je ne m’entendais pas super bien avec les filles à vrai dire. J’étais dans une petite école privée très select grâce à mes très chers parents, mais je n’étais pas exactement la personne qui collait le mieux à cet environnement. les petites garces riches qui se prenaient pour d’autres n’étaient pas exactement ce que j’aurais pu considérer comme des amis, et je profitais des moments où je séchais les cours pour aller fumer avec ma petite bande de rebelles. on se cachait à l'extérieur, de façon à pouvoir voir venir les surveillants qui partaient bien évidemment à la recherche des fugitifs, mais miraculeusement, je ne me suis jamais faite pincer durant cette époque. mes parents et moi par contre, c'était la guerre. ils n'aimaient pas mon attitude, ils voulaient que je me concentre sur des choses plus sérieuses, ils se demandaient pourquoi je ne fréquentais pas des filles, parce que ça me donnerait certainement une réputation et blablabla. la seule réputation qui m'a été transmise par le fait d'avoir que des amis dans la gente masculine était que je devais forcément coucher avec ces gars-là. pourtant, les gens avaient tout faux. Il y a deux ans, je vous aurais dit que l’école est le pire souvenir que j’ai de ma vie, mais maintenant, je vous dirais que peu importe comment c’était pénible, ce ne sera jamais aussi horrible que la prison.

   ~ ES-TU HEUREUX PRÉSENTEMENT?
j’espère que cette question est une blague, parce que si on prend en compte que je viens de pourrir deux ans en tôle, non, ma vie n’est pas heureuse et toute jolie. en fait je me demande si un jour dans mon existence, j’ai pu qualifier ma vie d’heureuse. pas trop pourrie à la limite par moment, mais je dois dire que la plupart du temps, ma vie est vraiment nulle. inutile de mettre au point que je ne parle toujours pas à ma famille. ce serait beaucoup trop humiliant d’avoir une dealeuse de drogue et ex-tôlarde en prison, alors ils ont préféré couper les liens pour de bon. sans doute que l’épisode des retrouvailles en famille ne les intéressait pas.

   ~ OÙ TE VOIS-TU DANS DIX ANS?
Bonne question. je ne me fais pas de plans d’avenir, j’ai beaucoup trop peur d’être déçue. si je finis par me caser un jour, peut-être que j’aurai la chance de rencontrer un super prince charmant ultra-riche et beau et qui me traitera comme une princesse…mais pour le moment je doute très fort de cette éventualité, et je continue de penser que je vais finir ma vie toute seule à me plaindre de tout et de rien. pas mal hein comme plan? vous vous attendiez quand même pas à des grands projets de la part d’une ancienne prisonnière, j’espère.

TWO YEARS AGO.

Je pose ma main sur la Bible, m’apprêtant à être assermentée devant le juge qui me fixe sévèrement. Je baisse les yeux, intimidée pour une des rares fois de ma vie par les regards portés sur moi. Mon cœur bat à tout rompre. Je ne devrais pas être ici, dans le banc des accusés. Pas pour ça du moins. La voix grave de l’homme en toge résonne dans la pièce, et j’entends bientôt la première question. Je fige. « Mademoiselle Kershaw, connaissiez-vous bien Mr. Donnovan? » C’était un accident. Ça ne devait pas le tuer. Je voulais seulement qu’il s’éloigne. Je voulais juste me défendre. Ce n’est pas ma faute, c’est lui qui a commencé. Le juge fait frapper son maillet, me ramenant à l’ordre. « Oui, votre Honneur. » Un moment de silence. Je déglutis, puis regarde le plancher. « Quelle était votre relation avec Mr. Donnovan? » Je n’ai pas envie d’en parler. Pas devant tous ces gens. « C’était un ami, votre Honneur. » Je parle tout bas, et je sens la légère teinte rosée prendre place sur mon visage. « C’est plutôt curieux de tuer un ami, non? J’ai le tournis, envie de vomir aussi. Je ne devrais pas être ici, c’est une erreur. « C’était un accident, votre Honneur. » J’entends des murmures dans la salle. Je sais que l’on me juge. L’histoire est passée dans les journaux. « Mademoiselle Kershaw, étiez-vous au courant que Mr. Donnovan était marié ? » Encore des murmures. Je rougis un peu plus. « Non, votre Honneur. Il me l’avait caché… » Et je revois en détail les derniers mois que je tente d’effacer de ma mémoire.

J’étais tellement idiote de me dire que je pouvais tout simplement partir comme ça, et retomber sur mes pattes sans problème. Je manquais d’argent, White Oak Station était une ville beaucoup trop petite pour moi. J’étouffais. En fait je crevais d’envie de retourner à mon ancien train de vie, beaucoup plus actif et surtout beaucoup plus payant. Je ne sais pas ce qui m’a pris lorsque j’ai décidé de prendre l’avion vers Vancouver. J’avais beaucoup trop d’attentes, je suppose.
Je n’avais aucun contact là-bas, et bien rapidement je me suis résignée à trouver un job dans un bar. Une nouvelle ville, toujours la même foutue histoire. Puis je l’ai rencontré, il venait fréquemment boire où je travaillais, parfois avec des partenaires d’affaires. Mi-trentaine et riche, et il me faisait de l’œil à moi, la petite barmaid blonde paumée qui payait de peine et de misère son loyer. Il était célibataire qu’il disait. Il était fou de moi qu’il disait.
Puis un jour, je suis tombée sur la caméra installée dans la chambre. Je n’y croyais pas au début, pensant que c’était une blague de mauvais goût. Puis j’ai découvert les fichiers qu’il gardait dans son ordinateur. Je ne suis pas si fouineuse à l’habitude, mais cette fois-là, je ne pouvais pas passer à côté. Des mois et des mois d’ébats filmés et stockés dans des fichiers qu’il faisait circuler sur le net à mon insu. Lorsque je l’ai confronté, il a tout nié, mais a tout de même ressenti le besoin de me frapper. Jamais dans ma vie je n’avais laissé qui que ce soit le faire. Je mangeais, j’avais ma fourchette à la main. À l’aveuglette, je me suis mise à frapper, serrant l’ustensile dans mon poing. Je l’ai plantée neuf fois, sans regarder exactement où je le heurtais. C’est pour ça qu’ils ne veulent pas croire à la légitime défense.

Un nouveau coup de maillet me fait sursauter. « Mademoiselle Kershaw, étiez-vous au courant des vidéos? » J’essuie mon visage, effaçant la larme qui vient de couler. De honte, de rage, d’impuissance. « Je les ai découvertes par moi-même, votre Honneur. » Pendant six heures, le même genre de questions en continue. Le jury a pris une heure pour délibérer, et ils m’ont donné cinq ans à faire en dedans. Je m’attendais à bien pire, pour être honnête.


TWO WEEKS AGO

Je sors de la prison, personne ne m’attend. Je le savais déjà, on me relâcherait dans la nature avec mon porte-feuille plus qu’anorexique, et bon débarras. La solitude ne m’a jamais vraiment fait peur, mais à ce moment-là, j’étais seule contre la terre entière. Peu importe où j’irais, personne ne m’attendrait. Alors je n’ai pas réfléchi en achetant le billet de train qui me mènerait à White Oak Station. Je n’avais plus de logement là-bas, et personne chez qui débarquer à l’improviste.
En arrivant à la gare avec mes quelques valises, j’ai eu peine à reconnaître la ville que j’avais barrée de mon esprit sans véritable raison. J’ai pris un taxi et ai trouvé un motel plutôt ordinaire, mais pas cher. Je suis passée à la pharmacie, puis me suis acheté deux boîtes de teinture brune. Je voulais quelque chose de neutre, passer inaperçue. Je ne cherche que ça depuis que je suis revenue. Et un emploi, mais pour ça il faudrait que j’aie le courage de sortir de ma chambre d’hôtel.


YESTERDAY

Je sors de la chambre d'hôtel pendant qu'il est dans la douche. Il, c'est ce type avec un costard qui m'a ramené avec lui tout à l'heure, me prenant pour une petite fille trop naïve qui ne connait absolument rien de la vie. Il n'a même pas remarqué que j'ai pris son son argent et ses cartes de crédit. Je traverse le couloir et appuie sur le bouton de l'ascenseur. La porte s'ouvre après une longue minute d'attente. Je fixe nerveusement la chambre d'hôtel de peur qu'il n'en sorte en trombe, puis j'entre rapidement pour descendre au rez-de-chaussée. Dehors, l'air est froid et je referme vivement mon manteau. Je calcule les billets que j'ai entre les mains, et contemple les trois cartes. Je glisse ma main dans ma poche et en sort un joint. Je l'allume et en prends une bouffée. Ça fait du bien d'être de retour.