Il y a environ une semaine de cela, la rentrée scolaire avait commencé à battre son plein à l’université de White Oak. Les élèves provenant d’autres villes commençaient à s’installer ou même se réinstaller sur le campus universitaire, les nouveaux marchaient dans les couloirs, regardant à droite et à gauche afin de guetter les numéros de locaux histoire de ne pas se tromper et ne pas se perdre comme ils l’avaient probablement fait au moment de leur première journée. L’ambiance était différente du reste de l’année scolaire, quelque chose de fébrile flottait dans l’air, et ça, tout le monde le ressentait, que ce soit les étudiants ou encore les professeurs, ce qui faisait en sorte que je ne dérogeais pas à la règle. Toutefois, pour moi, la rentrée n’avait pas impliqué la recherche de locaux, puisque ça, j’avais appris à le faire lors de ma première année qui avait eu lieu en septembre dernier. Maintenant, j’étais confronté à cette étape de soit revoir des anciens visages que je me devais de reconnaître, histoire de ne pas offenser qui que ce soit, et faire connaissance avec de nouveaux visages. Il me fallait aussi ajuster un peu le contenu de mon cours par rapport aux commentaires auxquels j’avais eu droit à la fin de l’année précédente. Ceux-ci n’étaient pas nécessairement négatifs, mais ils impliquaient certains remaniements que j’allais mettre en application non pas sans nervosité. Bien sûr, refaire ces plans m’avait occupé pendant un bon moment, et m’adapter à cette rentrée, à mes nouveaux groupes, m’avait pris encore plus de temps. De ce fait, je m’étais quelque peu renfermé dans un cocon pendant la dernière semaine, à mon plus grand regret, puisque je m’étais, en quelques sortes, privé de voir ma petite amie, April. Bien sûr, je l’avais croisée de temps à autre dans les couloirs, mais pour moi, ce n’était pas assez. J’avais envie de passer un petit moment avec elle, seul en sa compagnie, et je voulais la gâter comme un petit-ami se devait de le faire envers la femme qu’il aimait. C’était pour cela qu’en cette fin de semaine, en espérant qu’elle allait accepter, j’avais envoyé un message à April pour lui proposer de venir me retrouver à mon bureau afin que nous quittions le campus ensemble – en demeurant discrets, bien entendu – et qu’elle vienne à mon appartement pour que je lui prépare à manger et qu’on puisse passer du temps ensemble. Sachant qu’elle avait des cours et autre chose, je ne m’attendais pas à une réponse de sa part, me disant qu’elle viendrait me retrouver si elle en avait envie ou pas. De ce fait, je commençai à ranger mes choses dans mon bureau, jusqu’à ce que j’entende frapper à la porte. Persuadée que c’était elle, je relevai la tête, tout souriant, mais je me retrouvai plutôt devant une personne que je n’avais pas vue depuis longtemps, une de mes anciennes collègues de travail du temps où j’étais photographe. Nous avions fait de nombreux voyages ensemble, et je m’étais toujours bien entendue avec elle, comme amie. Surpris de la voir ici, j’avais alors commencé à discuter avec elle, et notre discussion dura plusieurs minutes, jusqu’à ce que je l’accompagne à la sortie de mon bureau, puisque visiblement, elle avait autre chose à faire. Sincèrement, je lui dis, en guise d’aurevoir : « En tout cas, ça m’a fait plaisir de… » sauf que je ne sus jamais terminer ma phrase, puisqu’elle me coupa la parole d’une façon peu conventionnelle, soit en m’embrassant. Je demeurai alors particulièrement tendu, et surtout peu confortable dans la situation, d’autant plus que tous pouvaient nous voir actuellement, vu que nous étions à la porte du bureau et non à l’intérieur…

Je fus tellement pris de court par l’initiative de ma collègue que je ne sus même pas comment réagir dans un premier temps. Une chose était certaine, c’était que – et ce n’était pas contre la jeune femme directement – cette situation ne me plaisait pas du tout. Déjà, à la base, je n’aimais pas vraiment qu’on me touche, à moins que ce soit April, puisque j’en avais l’habitude et je me sentais bien avec elle, mais ainsi, sans crier garde, là où tous pouvaient nous voir, ça me mettait encore plus mal à l’aise que jamais. Cependant, sous le choc, je ne sus pas me détacher de son emprise pendant les premières secondes, et ça, c’était une belle erreur de ma part. J’en fus parfaitement conscient, si bien que pendant un instant, je commençai à paniquer, et ce fut plutôt maladroitement que je me détachai de son emprise, la repoussant un peu plus brusquement que je ne l’aurais voulu. Tel un enfant pris en faute, regrettant ce qu’il avait fait, je lui balbutiai un « Pardon… » qui était très hésitant, compte tenu que je commençais tout juste à me remettre de ce qui s’était passé. C’est à ce moment, ce moment où je regardai par-dessus l’épaule de la femme que je me rendis compte qu’April était là, qu’elle était en train de passer en coup de vent. Un juron se forma alors dans ma tête : Nous avait-elle vu ? J’espérais que non, puisque tout cela n’était qu’un malentendu qui n’avait pas lieu d’être… Toutefois, vu l’allure de sa démarche, je comprenais que oui, elle avait probablement assisté à la scène, ou du moins une partie, et moi, il n’était pas question que je la laisse partir comme ça. Maintenant pressé, je remerciai encore une fois ma collègue d’être passée, la saluant dans l’intention de ne pas revenir la voir; elle était déjà sur le point de partir de toute façon. Je commençai alors à marcher à vive allure en direction d’April, voulant l’interpeler en affirmant : « Ma… » mais je m’interrompis en me rappelant où nous étions, et le fait que je ne pouvais certainement pas l’appeler de la sorte, surtout pas ici. Je cherchai alors à me rattraper, accélérant le pas en lâchant un : « Mademoiselle Hawkins ! » Je grimaçai alors, trouvant que cela sonnait beaucoup trop faux, et heureusement, je finis par la rattraper à un moment, ou du moins, assez pour pouvoir dire à voix plus basse, histoire de la faire ralentir, voire arrêter : « April, je t’en prie, ne t’en vas pas… »

Même si je savais très bien que tout cela était en grande partie ma faute, que j’avais peut-être laissé planer des doutes sur la conversation que j’avais eue avec ma collègue de travail que je n’avais pas vus venir, que j’avais été trop passif en raison du choc qui m’avait assailli au moment où elle m’avait embrassée, il n’en demeura pas moins que dans un premier temps, je sens mon cœur se briser au moment où April me dit qu’elle n’avait rien à me dire. Maladroitement, je commençai alors à balbutier, à court de mots : « Non, non… », puisque je refusais qu’elle parte ainsi, avec des idées fausses dans la tête. Elle devait au moins me laisser m’expliquer, il fallait au moins que j’essaie de la convaincre qu’elle n’avait pas à s’en faire, que la seule personne que j’aimais, c’était elle, et que tout cela n’était qu’un malentendu sordide qui n’avait pas lieu d’être. Après, je ne savais pas si elle allait me croire, si elle allait me pardonner ou quoi que ce soit, mais il fallait au moins que j’essaie, c’était la moindre des choses, à mon avis. Cependant, je n’en eus pas le temps dans un premier temps, puisque sitôt que je voulus commencer en affirmant : « Je… », April commença à marcher de nouveau. Heureusement, cette fois-ci, je n’eus pas de mal à la suivre, et pendant le trajet menant à l’extérieur, pas une fois elle tenta de me repousser ou m’exiger de ne pas la suivre, de la laisser tranquille. Plus que cela, elle considéra même ma présence à un certain point, puisqu’elle me demanda de lui expliquer, ce que je comptais faire depuis que je l’avais rattrapée dans ce fameux couloir. En revanche, avant que je puisse placer ne serait-ce qu’un seul mot, celle-ci poursuivit, faisant de la situation une hyperbole qui n’avait pas lieu d’être. Franchement, je détestais quand elle faisait cela, quand elle croyait le pire alors qu’en fait, il n’en était rien, et qu’elle ne savait rien. Cela ne voulait pas dire que je ne l’aimais pas pour autant, mais je me doutais que ce serait bien plus simple de désamorcer ce genre de conflit si ce n’était pas de cela. J’inspirai alors profondément, et sachant que je ne devais pas perdre de temps avant de dire quelque chose, je lâchai, sans réfléchir : « Comment tu peux croire que j’en fréquente une autre que toi !? » Il fallut que j’inspire profondément suite à ce propos, histoire de me calmer un peu, mais au moins, j’avais su dire ce que je pensais par rapport à ce qu’elle avait pu supposer précédemment, histoire qu’elle ne pense pas que j’étais ce mec horrible qu’elle semblait croire que j’étais. J’espérais au plus profond de moi-même que ce ne soit pas le cas, puisque j’en serais profondément vexé, mais ne voulant pas faire tourner le débat autour de cela, je finis par me calmer, puis je m’approchai du banc où elle venait de s’asseoir. Je posai un genou en terre devant elle, histoire de pouvoir voir quelques parcelles de son visage au travers de ses cheveux. Je n’osais toutefois pas lui prendre la main ou faire quoi que ce soit, pas tant que je ne lui aurais pas dit : « C’était une ancienne collègue de travail. On a beaucoup voyagé ensemble, et je ne sais pas ce qui lui a pris… J’ai été surpris sur le coup, mais jamais je n’ai voulu de cela… Tu sais bien que je n’aime et je ne veux que toi. » Puis, ne pouvant m’empêcher de penser au propos qu’elle avait tenu, je baissai la tête à mon tour, puis je finis par dire : « Ou du moins, je croyais que tu le savais…. »

Alors que je m’étais montré le plus sincère qui soit dans mes explications, que j’avais fait mon possible pour la convaincre que tout cela n’était qu’une erreur, et que j’espérais sincèrement qu’elle me croie, puisque je pensais qu’elle savait que j’étais sincère, que je ne moquais pas d’elle d’aucune façon et que jamais je ne pourrais faire une chose pareille, malgré la complexité de notre situation, celle-ci me fit clairement comprendre que si j’avais fait le même discours à un mur, le résultat aurait été pareil; elle ne voulait tout simplement rien entendre. Elle était convaincue que j’avais dit cela simplement pour faire bonne impression, et elle était bien décidée à rester campée sur sa position comme quoi je lui avais menti, comme quoi j’avais fait exprès d’embrasser ma collègue de travail, de la tromper et de lui faire du mal, alors que c’était la dernière chose que je voulais au monde. Jamais je ne pourrais lui faire du mal volontairement, et je pensais qu’elle me connaissait mieux que ça, qu’elle le savait, mais finalement, je m’étais trompé sur son compte. Je me sentais vraiment idiot, naïf, comme si on s’était joué de moi. Comment pouvait-elle penser que je n’étais pas sincère, après tout ce temps ? Je n’arrivais tout simplement pas à y croire. Puis, ce fut pire que jamais au moment où elle me dit qu’en fait, je n’avais plus rien de spécial à ses yeux, que je n’étais qu’un type comme un autre, et ultimement, un pauvre con. Ces derniers mots résonnèrent dans ma tête, et je les sentis me blesser comme si on venait de me donner un coup de poignard en plein cœur. J’en avais presque les larmes aux yeux tellement j’étais blessé, ne pensant jamais qu’April ne me fasse pas confiance à ce point. Je savais bien que je n’avais pas eu la réaction la plus brillante qui soit devant mon bureau, mais devais-je endurer ce paquet d’insultes, tout cela pour une simple erreur ? Devais-je vraiment me faire jeter ainsi ? Aveuglé soudainement par la colère, par toutes ces émotions qui me submergeaient, je ne sus alors que dire : « Alors tu ne me fais pas confiance, c’est ça ? M’as-tu déjà fait confiance ne serait-ce qu’une fois ? » Je marquai une pause pour reprendre mon souffle, sentant que ma respiration se faisait de plus en plus saccadée, puis j’ajoutai : « Je n’arrive pas à y croire. Tout ce que je fais, c’est te dire la vérité, mais tu t’entêtes à croire l’inverse. Tu n’arrives même pas à croire l’homme que tu aimes… Moi je t’aime, et c’est pour cela que je suis honnête avec toi… Par contre, tu as décidé que je serais le méchant dans l’histoire, que je serais le pauvre con. Tu sais quoi ? T’as gagné. Je suis un pauvre con, et peut-être que je ne te mérite pas, et que ça ne vaut pas le coup que tu perdes ton temps avec moi. » Cela me faisait particulièrement mal de lui dire ce genre de chose, mais puisqu’elle ne voulait rien entendre, pourquoi me battrais-je avec elle ? Pour être encore plus blessé ? Pour le moment, ça ne valait pas la peine. Tremblant comme une feuille, je mis mes mains dans mes poches, puis je tournai les talons, affirmant, tête baissée « Je vais te laisser… Salut. », commençant alors à marcher lentement vers l’entrée de l’université afin de récupérer mes affaires et quitter le plus rapidement possible, ne supportant plus d’être en ces lieux en ce moment.