feel like i am human
make me feel like i am breathing

- Chérie, je... je...
- Edward ? Qui est ce bébé ?
- C'est... c'est...
- QUI EST CE BÉBÉ ?
Elle avait tout de suite compris que quelque chose n'allait pas. Que ce n'était pas une nièce, une filleule, ou la petite voisine à garder. Il était vingt-heures du soir et son mari revenait après être parti deux heures plus tôt sans rien dire. Il revenait avec un bébé.
- Emily... c'est le mien.
Elle n'en revenait pas. Son bébé ? À lui ? À ce qu'elle sache, elle n'avait pas été enceinte ces neufs derniers mois.
- Non. Non non non non. Ça ne peut pas être possible, Edward. Ça ne peut pas être possible.
Derrière la porte vitrée, un petit garçon blond d'une dizaine d'années observait la scène, troublé. Qui était ce bébé ? Ses parents ne le remarquaient pas, trop préoccupé par ce petit être enroulé dans une serviette blanche.
- Je suis désolé. Je suis sincèrement désolé. Mais je ne peux pas lui laisser.
- Comment ça tu ne peux pas lui laisser ?
Emily venait d'apprendre, en cinq minutes, que son mari l'avait trompé et qu'il avait mis enceinte une autre femme qu'elle, laquelle femme n'avait pas avorté.
- Elle... elle a fait une grossesse plate, je ne l'ai appris qu'il y a quatre jours. Je ne peux pas lui laisser, elle... ce n'est pas une vie qu'elle a. Nina sera mieux ici.
- Nina ? Tu as osé appeler la fille que tu as eu avec je ne sais quelle pute par le prénom de ma mère ?
- Emily, je... je t'aime. Je n'aime que toi. Cette autre femme, c'est une erreur. Je te le jure. Tu ne la reverras plus jamais, tu n'en entendras plus jamais parler. Par pitié.
Elle regarda à tour de rôle son mari, qu'elle ne reconnaissait plus, et ce petit bébé qu'il tenait dans les bras. Elle haussa les épaules. Que pouvait-elle faire ? Cette petite fille avait des yeux bleus perçants, comme elle. Elle était blonde, comme elle. Son entourage ne verrait que du feu. Voilà, une grossesse plate, c'est ce qu'ils diraient. Elle tendit les mains et Edward lui déposa le bébé au creux des bras.

﹎﹎﹎

Discussion entre un groupe de filles de dix-sept ans.
- Pff, t'es bête, on a toute couché ici.
- Aaah, tu sais pas, ça.
Elle regarda une à une ses amies avec un air suspicieux.
- Mais bien sûr que si, tu nous prends pour qui ?
Cette discussion revenait bien trop souvent au goût de Nina.
- Hein Nina ?
- Oui, bien évidemment. Enfin, pour ce qui est de mon cas... c'est sûr.
Elle lança un petit clin d’œil bourrée de sous-entendus. Pour avoir parlé avec chacune de ses amies, elle savait qu'elles avaient toutes déjà eu une relation sexuelle, et à plusieurs reprises. Elle savait qu'un jour ou l'autre, on lui poserait la question, on la bombarderait de détails. Alors, tu as eu mal ? Qu'elles seraient là, avides d'informations. Il était bien... bien proportionné ? Alors Nina avait fini par le faire. Elle avait vu comment Jane, une fille de leur classe, s'était fait insultée quand elle avait osé dire qu'elle était toujours vierge. Nina ne voulait pas compromettre sa réputation, elle ne voulait pas devenir une paria alors qu'elle avait si bien réussie à se faire une place. Elle était presque populaire, à l'internat. Il faut dire qu'elle avait de nombreuses qualités : elle était belle et intelligente, elle ne parlait pas trop et elle était très gentille. Lorsqu'elle et ses amies sortaient en ville, de nombreux garçons lui tournaient autour, mais aucun qui ne l'attirait particulièrement, aucun qui ne la faisait chavirer. Pourtant, un jour, elle glissa son numéro dans la poche de celui pour qui toutes ses amies craquaient. Au moins, elle pourrait se vanter d'avoir perdu sa virginité avec un beau gosse. Mais, elle pourrait regretter de l'avoir perdu dans les toilettes du premier étage de l'internat avant que l'apollon en question reboutonne son pantalon et lâche Il faudra qu'on remette ça, quittant les toilettes, le couloir, l'internat, la vie de Nina. Elle en était restée comme deux ronds de flan. Et ne l'avait plus jamais fait.

﹎﹎﹎

Toc toc toc. Nina posa sur son cahier le crayon avec lequel elle écrivait et recula sa chaise avant de se lever. Elle fronça les sourcils, n'attendant personne ce soir. Elle descendit les escaliers en vitesse et ouvra la porte sans réfléchir.
- Tu ouvres la maison sans vérifier qui c'est avant, toi ?
- ... Edi ?
Elle n'en revenait pas. Elle sauta dans les bras de son frère et le serra pendant quelques minutes.
- T'étais passé où ? Et qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? C'est quoi toutes ces marques ? Papa et maman sont au courant ? Tu leur as dit que tu étais revenu ? Ils étaient énervés ? Comment tu as su que j'étais là ? Qu'est-ce que tu as fais pendant tout ce temps ? Pourquoi tu ne m'as jamais dit où tu étais ? Et comment －
- Nina... Nina tais toi.
Ce fut à son tour de la prendre dans ses bras. Il la serra de toutes ses forces. Elle lui avait tant manqué. Il déposa un baiser sur son front avant de se reculer, laissant ses mains reposer sur les épaules de sa petite sœur.
- J'ai besoin de toi.
- Quoi ? Qu'est-ce que je peux faire pour toi ?
- J'ai besoin que tu m'héberges.
- Oui oui, rentres.
Nina ferait tout pour son frère. Vraiment tout. Elle se recula pour le laisser passer, mais il ne bougea pas.
- Quoi ?
- Il ne faut pas que tu en parles aux parents.
- Pourquoi ?
- Ils me tueraient.
- Ah.
Elle fit le signe de la croix sur ses lèvres et jeta dans le jardin une clé imaginaire. Elle rentra, ferma la porte derrière son frère et lui prépara un plat de pâtes. Cela faisait quatre ans qu'ils ne s'étaient pas vus. Quatre longues années.

﹎﹎﹎

Nina repensait à cette fille. Jane. Elle la voyait en cachette, à l'internat. Secrètement, parce que le reste de ses amies n'approuverait pas. Elle s'était souvent répétée que c'était elle, visiblement, qui était le noyau de son groupe. Mais, si elles se braquaient toutes contre elle, elle se ferait bien vite écraser. Jane n'avait rien de méchant, cependant elle n'avait encore jamais couchée, elle ne s'habillait pas dans les magasins du centre-ville et elle avait tendance à défendre les injustices. Les midinettes de l'internat avaient tôt fait de la catégoriser comme cas social à qui l'on ne devait pas adresser la parole. Nina c'était donc faufilée un jour dans sa chambre et avait présenté ses excuses.
- Pourquoi tu t'excuses ?
- Bun...
- Pourquoi ?
- Elles n'ont vraiment pas été sympas avec toi.
- Et alors ?
- Je suis désolée.
- Tu te rends compte que ce n'est pas ta faute, Nina ?
- Oui mais j'étais avec elle. J'aurais pu te défendre, leur dire d'arrêter.
- Et devenir le deuxième déchet de l'internat ?
- ...
- C'est bon, Nina. Je peux comprendre.
- ...
- Soupire.
- Je pourrais revenir te voir ?
Et les deux s'étaient revues, de nombreuses fois. Jane était la première et la seule à qui Nina ait montré ses textes. Ceux qu'elle a écrit, souvent lorsque ses copines de chambrée dormaient à poings fermés.
- Tu devrais vraiment les montrer à quelqu'un.
- Mais non.
- Je t'assures. Ils sont très beaux.
- C'est n'importe quoi. Tu dis ça pour ne pas me vexer.
- Oula, non. Tu es de loin la mieux placée pour savoir que ce n'est pas mon genre.
- ...
- Hé.
- ...
- Je te le jure, tu devrais les montrer. Les chanter.
- Quoi ?
- Ne crois pas que je ne t'ai pas entendu, dans les douches.
- ...
- Nina, tu chantes merveilleusement bien.
- ...
- Je t'assures, Nina. Fais le. Ça te fera du bien.
Nina repensa à cette conversation, pris une grande inspiration, et poussa la porte de l'Old Pub.