~ À QUOI RESSEMBLAIT TA VIE AU LYCÉE?
J'étais le petit nouveau, celui qui venait d'ailleurs, celui à part, qui n'avait pas d'amis, qui ne connaissait personne. J'étais derrière, seul, j'avais l'habitude d'ignorer les autres, à croire que je n'étais pas sociable. Je déménageais souvent, alors je ne prenais plus la peine de m'intégrer. Non, tout était différent cette fois, ma mère avait décidé de se poser, de devenir stable, fini les déménagements. Avec beaucoup de mal, j'avais réussi à ne plus être ce cas à part, qui mange seul en tête à tête avec son plateau, le regard perdu dans une assiette de pâtes à l'eau, sans goût, comme la vie que je vivais avant cette étape. J'avais trouvé une bande d'amis, ils n'étaient pas les plus intelligents ni les plus fréquentables, mais ils voulaient bien de moi. Ma bande d'amis, celle avec qui je traînais et me sentais plus fort, plus puissant. Ce faux sentiment d'invincibilité que me donnait mon entourage me permettait de me sentir plus que vivant, je n'étais plus cette personne effacée. J'étais devenu un suiveur, les engueulades ne me concernaient pas et pourtant j'y participais, je défendais mes amis, et quand les mots ne suffisaient plus, les poings se baladaient de figures en figures. Mon clan m'avait formé et m'avait apporté beaucoup de choses, les disputes, les engueulades, les trahisons et le caractère bien trempé qui allait avec. Ils étaient ma famille, ma nouvelle famille. Je faisais tout pour eux et ils me le rendaient bien. J'avais peur de les perdre, ils étaient mon seul soutient. Puis un jour, je croise cette jeune fille blonde dans le couloir, un premier regard, un sourire, des joues qui rougissent, une tête qui se baisse et deux inconnus qui continuent à avancer, toujours tout droit vers leur but. Une deuxième rencontre, un deuxième sourire, des joues qui rougissent et un geste de la main, toujours cette fille blonde. Elle semblait mystérieuse, elle n'avait pas les atouts physiques que je pouvais attendre chez une fille et pourtant elle attirait mon regard, ma curiosité. Elle avait cette chose que les autres n'avaient pas. Une troisième rencontre, un troisième sourire, un geste de la main, un bout de papier avec un numéro échangé entre les deux inconnus, un premier message, puis un deuxième, puis un troisième, puis un appelle, puis un deuxième, puis un troisième, puis une nuit entière à parler, puis un rendez-vous. Une sortie au cinéma, quelques blagues, quelques compliments, puis un oui. Notre histoire avait duré plusieurs mois, je l'aimais, mais ma bande n'était pas du même goût, alors j'ai préféré la rejeter par peur de perdre mes amis. La vie continue, je la perd de vue et décroche mon BAC.

   ~ ES-TU HEUREUX PRÉSENTEMENT?
C'était le genre de question que je ne me posais pas. J'étais surement trop occupé à vivre pour y penser. J'avais globalement réussi ma vie, j'ai mon boulot, mes amis, mon foyer, ma famille. J'étais parti de rien et avais construit un tout, il ne manquait plus qu'une perle au collier, cette perle que j'ai perdu avant de passer mes examens, celle que j'ai décroché pour mes amis, c'était un mauvais choix mais je ne peux que l'assumer. Les bleus, les coups reçus, la douleur, c'était le passage obligatoire qui m'avait amené au bonheur. Celui qui est fait de petites choses, mais qui est fait quand même. J'avais beaucoup changé depuis ma période au lycée, j'étais indépendant mais pas pour autant seul. J'avais tout découpé puis recollé afin de reformer le tout en quelque chose de meilleur. J'ai appris de mes erreurs plus que je n'en ai appris dans mes leçons. Je ne recommencerai plus à faire les mauvais choix, maintenant j'ai compris, je connais le chemin du bonheur et à présent je m'y balade tous les jours, espérant malgré tout retrouver la dernière perle du collier.

   ~ OÙ TE VOIS-TU DANS DIX ANS?
Dans dix ans, je me vois dans ses bras, à sentir sa respiration dans le creux de mon cou, mes lèvres parcourant le sien. Sans la distance qui nous sépare, ni les amis qui essayent de nous séparer. Seulement nous deux, face à face, se dévorant d'un regard qui en dit long. Une vie stable, un logement, des amis fréquentables. Tout du moins, c'est ce que j'espère, si un jour je la retrouve. Sinon je ne peux qu'espérer une vie banale avec mes amis, mon boulot et mon appartement, des sorties à n'en plus finir pour se vider la tête. De l'énergie et une santé en acier. Des retrouvailles mais aussi des représailles. Si je ne bouge pas d'ici, je fréquenterai encore mes amis, et je vivrai encore dans un mélange bouillonnant de sang.

Je n'ai jamais connu mon père, je ne sais même pas ce qu'il est devenu, ce qu'il peut penser de moi si il est encore de ce monde. J'ai vécu comme ça, et je m'y suis habitué. Dans la vie tout change, et on s'adapte, on aime pas ça, mais on le fait quand même, on a pas le choix.

Je déménageais tous les ans, ma mère avait trop d'embrouille pour rester plus d'une année dans la même ville. J'avais été élevé dans les quartiers pauvres, là où le sang coule comme la pluie. Chaque année c'était le même rituel, j'arrivais dans ma nouvelle classe, je rencontrais des personnes que je finissais par apprécier, puis ils disparaissaient, en réalité, ce n'était pas eux qui disparaissaient, c'était moi, moi et ma mère. On partait toujours plus loin.

Sauf une fois...
Cette fois, ce n'est pas moi qui ai disparu, c'est elle, Azel, cette jeune femme blonde qui du premier regard m'avait rendu dingue. Elle avait cette chose inexplicable qui me rendait fou d'elle. Bien qu'elle ne respecte pas mes critères physiques, elle avait beaucoup plus d'importance que toutes les autres filles. Elle était folle de moi et moi j'en ai profité pour jouer les cons et pour le coup, je n'ai pas que joué le con, je l'ai été. J'ai préféré dire que je ne l'aimais pas, que je ne l'ai jamais aimé, que c'était qu'une simple fille parmi tant d'autres. C'était ma toute première erreur avec elle. Je la voyais de temps en temps, dès que je croisais son regard, mon coeur se serrait, j'étouffais, j'avais besoin d'elle, de sa présence. Je me suis approché d'elle, je l'ai embrassé, une fois, puis deux, puis nous avons repris notre relation. Une année entière ensemble, à se câliner mais aussi à se supporter, j'ai de nouveau joué sur ses sentiments, j'en ai profité lâchement, je l'ai froissé à nouveau et je m'en veux. Son meilleur ami était venu me régler mon compte, me faire comprendre que j'étais lâche, très lâche.

J'ai repris ma vie banalement, le boulot, la routine. Je n'oubliais pas, je m'en mordais les doigts, plus le temps passait, plus je réalisais que j'avais vraiment besoin d'elle, un vide dans la poitrine que je n'arrivais pas à combler. Elle faisait sa vie loin de moi et m'avais surement oublié. Je n'arrivais plus à tomber amoureux, ce n'était plus possible pour moi. Toutes les filles que j'avais rencontré n'étaient finalement que des histoires d'un soir aux quelles je n'arrivais pas à m'attacher.

Un jour, tout ce qu'il y a de plus normal, je me balade dans mon village, ce village où j'ai rencontré Azel, je pensais à elle, j'avançais, toujours tout droit, la tête baissée, je fonce sur la personne venant de l'autre côté du chemin sans m'en rendre compte, je m'excuses puis relève le visage, et là, je la vois, c'est elle, Azel.