sweet fuckin' rain

l'empathie, c'est tendre la main à celui qui est dans le trou.

Satanée pluie.
Que je n'avais pas prévue, du tout. Partie en début de matinée, avec un ciel bien dégagé. Malia accroché sur le ventre, à l'aide d'un grand foulard. Se rendre à pieds en centre-ville depuis notre nouvelle maison, ça ne prend pas trop de temps. Une demi-heure à tout casser ; et j'avais du temps devant moi. Les choses commencent un peu à se tasser à la boutique, alors je peux davantage prendre mon temps pour faire d'autres choses à côté. J'avais décidé, aujourd'hui, d'aller au marché de bonne heure dans Dowtown Area, puis de faire le plein de tissus, boutons et fils à coudre à la mercerie du centre. J'ai senti quelques gouttes en arrivant, mais je ne m'en suis pas trop préoccupée. J'ai levé la tête, et j'ai vu que le ciel était à présent recouvert d'une couche de nuages bien gris. Le temps change bien vite. C'est quand je suis repartie du marché qu'il a commencé à réellement pleuvoir. « Merde ! » Et bien sûr, je n'avais pas de parapluie sur moi. Idiote que je suis, j'avais parié sur le fait qu'il ne pleuvrait pas. J'avais donc couru tant bien que mal jusqu'à la mercerie, Malia sur le ventre, un sac rempli de fruits et légumes dans chaque main.

Je pensais que pendant tout le temps que je passerais à la mercerie à observer les nouveautés et discuter avec la propriétaire, la pluie aurait le temps de cesser. Je me suis correctement trompée. La mercière ne ferme qu'en fin de journée, et bien que sa pause de midi approche, elle n'a pas l'air réellement décidée à me raccompagner en voiture. Je ne lui ai pas demandé, bien sûr, je n'ai pas osé. Ce n'est pas comme si je la connaissais énormément ; et puis peut-être bien qu'elle n'en a pas, de voiture. J'appose une dernière signature tout en bas de la commande, et jette un coup d’œil alarmé en direction de l'extérieur. Ce n'est même pas comme si j'avais une poussette recouverte de plastique imperméable : Malia ne sera absolument pas à l'abri de l'eau, et c'est d'ailleurs ça qui m'inquiète le plus. À quatre mois, je ne voudrais vraiment pas qu'elle attrape un mauvais rhume. Je rabats comme je peux le foulard de façon à ce qu'elle soit davantage couverte, et ouvre la porte. Je ne dis même pas au revoir à la mercière. « Aller poupée, on peut le faire! » Je nous murmure en signe d'encouragement.

Cinq minutes. Cinq minutes à marcher sous la pluie, et je suis déjà trempée. J'ai finis par mettre les sacs de légumes à hauteur de Malia, de façon à ce que le plastique qui les enveloppent la protègent un peu de la pluie. Malheureusement, ça ne fait pas vraiment effet. Et voilà qu'elle se met à pleurer. « Shh, shh. » On n'est même pas encore sorti de la ville. Le trajet va être long. Très long. Je frotte le dos de mon bébé, de ma main mouillée. Comme si ça allait aider, comme si ça allait la réchauffer. « Je suis désolée ma chérie. » Je prends une grande respiration, et accélère mes pas ; jusqu'à ce qu'une voiture s'arrête, juste à côté de nous. La portière passager s'ouvre et je fais un pas en arrière, soudainement très méfiante. Je fronce les sourcils et me baisse, pour apercevoir une jeune femme tout sourire. Sauvée ! Je souris à mon tour, soulagée. Je ne me fais pas prier pour entrer dans la voiture, et ferme aussitôt la porte. Je pose mes sacs de légumes, attache ma ceinture, et me tourne enfin vers la conductrice. « Waw, merci beaucoup. Vous êtes notre sauveuse. » J'attrape mes cheveux et les torsade, afin d'évacuer le surplus d'eau. « Oh mince, je suis bête ! Je vais vous tremper toute votre voiture. » Je me mords la lèvre inférieure, atrocement gênée. « Je n'avais vraiment pas pensé au parapluie, aujourd'hui. »

La jeune femme me tend des chiffons, et je me demande alors pourquoi elle est si gentille avec moi. Moi qui pensait que la gentillesse humaine s'était perdue, à en voir comment certains réagissent en me voyant, Malia dans les bras ; je me suis trompée. Du moins, en partie. « Merci », je murmure en attrapant les serviettes. J'en place une autour de mon bébé, et frotte doucement son crâne. Ses pleurs finissent par se calmer, même si elle est toujours attachée dans le foulard qui doit très certainement être gorgé d'eau. Je ne peux pas me permettre de la détacher alors que nous sommes en voiture, j'aurais trop peur que la brune freine un peu trop fort et que Malia m'échappe des bras. « Ma voiture ne craint pas d'attraper une pneumonie avec quelques gouttes. » Je rigole doucement, elle n'a pas tort sur ce point-là. J'entoure mes cheveux avec la deuxième serviette et les frotte afin de les sécher au mieux. « C'est une petite fille. » Je souris. On ne me pose pas souvent des questions sur Malia. Les inconnus qui se risquent à m'interroger ne le font pas avec le sourire, et me demande généralement quel est mon âge. Leurs critiques cachées me passent à présent au-dessus de la tête, mais ça me fatigue quand même d'avoir à leur répondre toujours la même chose. L'âge d'avoir un enfant. La plupart se contente d'un sourire forcé et s'en vont sans rien ajouter de plus. C'est donc pour ça que je suis surprise de la gentillesse de ma sauveuse. « Elle s'appelle Malia », j'ajoute. « Et toi ? Oh pardon... et vous ? »

Je rigole à la réponse que me fais la conductrice et, rapidement, l'habitacle chaleureux est rempli de nos deux rires. Malia, elle, a finit par s'endormir, épuisée par les quelques mètres sous la pluie. « Enchantée alors, Nirvana. » Je me contente de l'appeler par son prénom principal, estimant que je ne la connais pas encore assez pour lui donner un surnom. Je souris faiblement, et me présente à mon tour. « Moi c'est Azel. Aucun diminutif possible! » Je pouffe avant de porter mon regard sur la route. La pluie est torrentielle et je me demande réellement si je vais retrouver ma maison avant la fin de l'après-midi. Je tourne la tête vers la brune, quand elle reprend la parole. Cette fille n'a vraiment aucune gêne ; pas dans le sens négatif du terme, bien sûr. Mais toujours est-il qu'elle ne se retient pas pour complimenter mon petit bébé et moi-même au passage. J'ai souvent eu des commentaires sur la ressemblance qu'il y a entre nous deux, mais toujours de la part de proches. Son compliment me concernant me prend un peu de court, mais je décide d'en faire abstraction. « Merci pour elle » Je souris, avant de reprendre. « Je le lui répète tous les matins, qu'elle est magnifique. » Je marque une pause, fronçant légèrement les sourcils. « J'espère qu'elle ne va pas prendre la grosse tête, en fait! » Je pouffe à nouveau, tout en prenant garde de ne pas trop secouer Malia. « Et toi, tu as des enfants ? » Ce n'est probablement pas le genre de question que l'on pose à une jeune femme, mais après tout, je suis bien maman. Pourquoi pas elle ? D'autant plus qu'elle semble un petit plus âgée que moi. Ce serait une belle coïncidence.

Ma sauveuse et conductrice parle étonnamment beaucoup, et ça me fait rire. Elle me semble excentrique et... bizarre. Mon type de bizarre ; le genre de bizarre que l'on prenait pour me décrire, au lycée. Je souris, rassurée de ne pas être la seule qui apprécie la vie, qui n'a pas peur de rire et d'être sympathique avec des gens que je ne connais pas. Je remarque que Nirvana bascule de nouveau dans le vouvoiement, mais je ne prends pas la peine de l'interrompre pour lui signaler. Je suis simplement touchée par ce qu'elle vient de dire. Moi, embellir sa journée ? Alors que je ne la connais que depuis quelques minutes à peine, et que je n'ai rien fait pour l'aider - puisque c'est en réalité le contraire ? Je ne comprends pas, mais j'en suis heureuse. « Merci beaucoup. Tu embellis beaucoup ma journée aussi, pour le coup ! » Je n'hésite pas à continuer de la tutoyer, pour ma part. Je n'ai jamais pris beaucoup de pincettes pour m'adresser aux autres, même quand je ne les connais pas. « Je ne sais pas dans quel état je serais, sans toi et ta voiture. » Je marque une pause avant de me rappeler ce qu'elle a dit, par rapport à la pluie et ce à quoi cela lui fait penser. « N'hésites pas si tu as envie d'en parler! Je peux comprendre que la pluie fasse remonter certains mauvais souvenirs. » Je ne peux que la comprendre ; autant j'apprécie la pluie en elle-même, blottie dans ma couverture près du chauffage ou même avec les bottes en caoutchouc dans la boue auprès des vaches, autant c'est un temps parfait pour la nostalgie ou pour me faire penser aux choses tristes de ma vie. Augustin. Zoe. Le manque de grand-mère et de mes parents.

Je pouffe quand la brune répond à la question que je lui ai posée. Je n'en attendais pas tant, et c'est ça qui me fait rire. « Je n'étais pas forcément très mature non plus ; mais avoir un enfant fait grandir, je t'assure. » Je souris. « J'espère que j'aurais la chance de voir ton bébé quand tu en auras un, alors. » Cela devient de plus en plus rare, je crois, des femmes qui ont la certitude qu'elles auront des enfants, qui en veulent vraiment, comme le semble le vouloir Nirvana. Cela me réchauffe un peu le cœur ; je trouve que la maternité est une des plus belles choses de ce monde. « Malia est parfaite, c'est vrai, » je reprends, « mais personellement, je ne suis pas sûre d'être une mère exemplaire. » Je baisse le regard vers Malia et caresse son crâne du bout des doigts. « Disons que je fais de mon mieux. » Je relève la tête en direction de Nirvana et hausse les épaules. « Et sinon, » j'ajoute, changeant complètement de sujet. « est-ce que tu me ramènes chez moi ? » Je demande, tout naturellement. J'ai l'impression de connaître cette fille depuis des lustres, alors que cela ne fait que dix minutes que nous nous parlons. Il y a des rencontres qui se font, parfois, dues au hasard le plus complet et qui nous font connaître des personnes formidables. Des personnes avec qui l'on s'entend instantanément. Des personnes avec qui l'on restera probablement en contact, et pendant longtemps.
Nirvana fait partie de ces rencontres.

« Euh, non, non » je réplique rapidement, après que la brune m'ait expliqué la raison de sa tristesse en concluant que je ne la jugerais pas si elle était sincère avec moi. Que puis-je dire d'autre, de toute façon ? Je ne la connais pas plus que ça. Je ne juge pas les gens en général, de toute façon ; ils sont tous bons, par définition. Il n'y a que leurs actes qui puissent être mauvais, parfois. Et quand bien même je pourrais critiquer certaines personnes, je le garde pour moi ; l'affirmation de Nirvana ne me laissait de toute façon aucun choix. Je souris brièvement. « On fait tous des erreurs, de toute façon » j'ajoute, en haussant les épaules. Moi la première, d'ailleurs. On en a fait beaucoup à mon encontre, aussi, mais c'est une autre histoire.

Nirvana répond à ma question quand je lui demande si elle peut me raccompagner chez moi. Elle s'embrouille dans ses propos et pouffe, et je joins mon rire au sien. Cette fille est vraiment hors du commun. Encore une fois, elle ne me donne pas d'alternative. Enfin, je n'aurais pas de mal à refuser, je n'ai pas peur de répliquer ce que les autres n'attendent pas ; mais après tout, ça ne me ferait pas de mal de discuter avec quelqu'un de nouveau. D'élargir un peu mon cercle d'amis ; d'entendre les problèmes des autres pour me dire que les miens ne sont finalement pas si terrible. « Oui, il n'y a pas de souci, viens à la maison. » Il me faudra d'abord prendre son bain à Malia, avant de lui faire la tétée puis de la coucher, mais j'imagine que Nirvana pourra attendre un petit peu. Il doit rester du flan que j'ai fait pour hier soir, je l'installerais avec un thé pour la faire patienter. « Il va falloir tourner à droite, là » je pointe du doigt l'intersection et tourne la tête vers la vitre pour essayer de voir l'extérieur entre les gouttes de pluie. « On va arriver dans les petites ruelles, il faut que tu ralentisses » je préviens, connaissant bien le coin maintenant. Je me suis fait avoir plusieurs fois, au début, allant trop vite. J'ai parfois rasé les murs d'un peu trop près ou bousculé un ou deux pots de fleurs. « C'est juste à gauche là, gare-toi sur le côté... » je patiente quelques secondes pour pouvoir lui donner plus d'indications, et reprends « ... derrière la voiture grise. On va devoir marcher quelques minutes pour retrouver ma maison. » Le quartier où j'habite est vraiment très beau, mais c'est vrai que pour le côté pratique en voiture, on repassera. Je n'ai pas trop ce problème puisque j'ai un espace qui m'est réservé, mais je n'en ai qu'un : les autres appartiennent à mes voisins. C'est donc pour les invités que c'est un peu plus compliqué, mais généralement ils se rendent jusque chez moi à pieds. « Merci de m'avoir ramené jusque là, en tout cas. »

Alors que nous arrivons vers ma maison, je la pointe du doigt, un petit sourire aux lèvres. Je suis tellement contente d'habiter ici, d'avoir un grand et joli logement. Il n'est pas complètement à moi, puisque je ne suis que locataire, mais c'est tout comme. « C'est juste là ! » je lâche, enjouée. La façade est en pierres anciennes, comme le reste du quartier. La plupart des maisons sont mitoyennes, collées les unes entre elles, mais la mienne est un peu différente.  En fait, elle se situe entre deux ruelles, ce qui lui permet d'avoir un jardin sur trois des côtés. À l'arrière, dans son prolongement, il y a le jardin des voisins suivi de leur maison, puis à nouveau toute une rangée d'habitations mitoyennes. On est un petit peu les chanceux du quartier, en somme. Certains ont des jardins, mais pas aussi ouverts que les nôtres ; ils sont souvent surplombés par les maisons à étages. « Entre, entre » je lance à Nirvana. La pluie semble s'être calmée et elle est beaucoup moins insupportable, mais je me presse pour rentrer quand même. J'attends que la brune soit rentrée pour refermer la porte derrière elle. J'enlève la capuche de Malia, puis la mienne. Tout en tenant la petite blonde d'un bras, j'enlève mon manteau de l'autre et l'accroche sur la rambarde de l'escalier pour qu'il puisse sécher sans tremper mes autres vêtements. « Je te fais un chocolat chaud ? » je demande alors, en me dirigeant vers la cuisine. Je pose Malia, qui est réveillée à présent, dans sa chaise haute, et entreprend de sortir le lait du réfrigérateur. Je n'aurais jamais pensé, en partant ce matin acheter des bobines de fils, que je ferais la rencontre de Nirvana ; en fait, je n'aurais jamais pensé que je me ferais une nouvelle amie.