i will try to fix you (shazel)

i will try to fix you

when you try your best but you don't succeed. when you get what you want but not what you need.

Treize heures. Le creux de l'après-midi, l'heure où il n'y a personne, où je peux souffler un peu et faire ce que je veux. Prendre mon temps pour coudre ce dont j'ai envie, pour manger le sandwich que j'ai préparé le matin, ou pour que des amis passent à la boutique s'ils en ont envie. Lucas passe régulièrement, entre la fin des cours de la matinée et la reprise de ceux de l'après-midi. On mange ensemble, soit une salade que j'ai fait à la maison, soit des plats à emporter qu'il a commandé. J'adore ces moments qu'on passe ensemble, simplement, comme un couple. Ce qu'on est. Parfois, je n'arrive pas à croire que j'ai eu cette chance. La chance de le rencontrer, la chance qu'il m'accepte comme je suis, la chance d'être avec lui. On parle un peu de tout, parfois de rien, on rigole, on mange, et il est temps qu'on se quitte de nouveau. Je reprends ma couture, lui ses cours.

J'arrête la machine et regarde Malia quelques instants. C'est incroyable comme cette enfant est parfaite. Elle a déjà un mois, le temps passe si vite. Elle est calme comme une image, elle ne bronche quasiment jamais, et elle peut passer toute la journée à la boutique sans protester. Quand elle ne dort pas elle s'amuse à frapper dans ses petits jouets, accrochés au-dessus de son siège, ou alors à gazouiller en me regardant. Actuellement, elle dort à poings fermés - et l'expression est vérifiée, ses petites mains sont recroquevillées. Je suis vraiment heureuse, car elle ne me mène pas la vie dure. Elle ne me réveille pas vingt fois dans la nuit et ne m'interromps pratiquement jamais quand je suis en train de coudre. Je remonte sa petite couverture afin qu'elle n'attrape pas froid et je me remets à mon travail. Je suis en train d'accrocher quelques épingles pour l'ourlet de la jupe que je suis en train de faire, quand j'entends la porte de la boutique sonner, signe que quelqu'un l'a ouverte. Soit c'est un client, soit c'est Shane. Il a dit qu'il passerait en début d'après-midi, pour m'amener un pull à repriser. J'ai cru comprendre qu'il ne travaillait pas de la journée, alors peut-être qu'il aura le temps de rester un petit moment. Je me lève après avoir posé la jupe pliée sur ma table de travail, et quitte l'atelier. Mes lèvres s'étirent aussitôt en un grand sourire quand j'aperçois qui se trouve à l'entrée du magasin. Mon grand blond, le parrain de ma fille, Shane en personne. Je m'approche de lui et le prend dans mes bras, heureuse. Tout est tellement différent depuis que j'ai accouché. Je peux enfin faire des câlins aux personnes que j'aime sans que mon gros ventre soit un obstacle, je peux me lever comme je veux sans aucun souci et sans aucune aide, je peux marcher normalement, je peux même courir. Je tends la main vers le pompier pour qu'il me donne l'habit que je dois réparer et fais un signe avec mon autre main pour qu'il avance. « Alors, comment tu vas ? » Je n'arrête pas de sourire. Je vois Shane assez régulièrement, surtout depuis que Malia est née, mais il n'empêche que je suis toujours aussi contente de le voir, à chaque fois. « Est-ce que tu veux boire quelque chose ? Je dois avoir quelques boissons fraîches dans mon arrière-boutique. » Je le laisse entrer dans mon atelier en premier, et passe juste derrière lui. Je donne un petit coup de menton en direction du canapé, qu'il connaît bien à présent. « Assieds-toi. » Je souris, avant de reprendre. « J'espère que tu as le temps de rester un petit peu ? » Je pose son pull sur la table, à côté de la jupe inachevée, et me dirige vers le petit frigo. Je me sors du sirop et une bouteille de limonade, en attendant la réponse de Shane. Ce n'est pas souvent que je pense ça, mais j'espère que cet après-midi il n'y aura pas grand monde à la boutique. Je suis toute seule pour m'en occuper, Zoe ayant déserté une énième fois, et j'aimerais profiter que Shane soit là pour discuter avec lui. J'ai bien peur que cela ne soit pas possible si nous sommes dérangés toutes les cinq minutes par des clients.

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« Ça va aussi, merci! » Je lance, enjouée, à un Shane de dos. Il se dirige vers le canapé alors que je m'approche du frigo, et vu qu'il me laisse carte blanche pour sa boisson, je décide de l'astreindre au diabolo fraise. Après tout, il m'a bien dit que tout ce que j'ai lui ira... et je n'ai pas de bière. « J'espère que ça te conviendra. » Je dis, en lui tendant son verre. Je verse distraitement la limonade dans mon verre, et manque de le faire déborder. « Zut! » Je m'approche du verre et lape quelques gorgées, avant de mettre le sirop. Je m'assois aux côtés de Shane, comptant réellement profiter de sa présence au moins quelques minutes, avant de me remettre à coudre. Je hausse les épaules. « Oh, tu aurais porté des pulls effilés et des jeans troués. » Je souris doucement. Je ne pense pas que ça l'aurait réellement dérangé, en réalité. « Ou alors, quand tu en aurais eu marre, tu aurais cherché la couturière de ta ville. » Je fais une pause un instant, enregistrant ce que je viens de dire. « Ce qui s'avère être... moi. » Je pouffe, bêtement. « En fait, tu vois, on était peut-être destiné à se rencontrer. » Je sirote quelques gorgées de ma limonade et hoche la tête en souriant quand Shane confirme qu'il a tout le temps devant lui, et donc du temps pour rester à la boutique et discuter. Je fronce les sourcils, amusée, quand il sort un paquet du sac dans lequel il a transporté son pull à repriser. Il me le tends et je l'interroge du regard. Bien sûr, il ne me dira rien tant que je ne l'aurais pas ouvert. Il soutient mon regard et je finis par baisser la tête, afin de défaire méticuleusement le papier. Je finis par déchirer le papier, n'arrivant pas à enlever le dernier bout de scotch. À l'intérieur se trouve un minuscule t-shirt blanc... pour Malia, je pense aussitôt. Je souris. Shane prend son rôle de parrain très à cœur. Il est tout le temps bourré d'attentions envers ma petite fille, et je trouve ça adorable. Au vu de son regard malicieux, j'entreprends de déplier le t-shirt au complet. If you think I'm cute... You should see my Godfather. Je souris en secouant la tête. Un cadeau pareil ne m'étonne même pas, venant de lui. « Ça va les chevilles ? » Je lance en me levant, sur le ton de la rigolade. Je m'approche du berceau de Malia, qui a ouvert les yeux au son de la discussion. « Regarde ce que ton parrain t'as offert, ma chérie. » Je jette le t-shirt en travers de mon épaule et soulève mon bébé. Je lui ôte sa petite blouse et lui revêt son cadeau, par-dessus son body. Je la porte dans mes bras et la tourne vers Shane. Elle est aux anges. Elle babille et tend les bras vers le blond. « Babababababa. » Je m'approche du canapé, et pose Malia dans les bras de Shane, sans vraiment lui demander son avis. « J'ai l'impression qu'elle aime bien son nouveau t-shirt. » Je souris, et me rassois à côté de lui. C'est fou, comme je me sens à l'aise à ses côtés. Il vaut mieux, étant donné que c'est le parrain de ma fille ; mais je n'arrive toujours pas à croire que cela fait seulement six mois que l'on se connaît. J'ai parfois l'impression que cela fait une éternité.

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La présence de Shane a toujours le même effet sur moi. Me vider de tous mes soucis et me rendre heureuse en un rien de temps. « Moui... bon, ok, j'admets. » Je pouffe, en réponse à l'inscription sur le t-shirt de Malia. « Du coup je pensais m'acheter un tee shirt avec écrit "Je suis le parrain" et me balader un peu partout avec la petite ! Mieux que Meetic. » Je me tape la main sur le front et secoue la tête, à peine étonnée qu'il sorte une phrase pareille. « Tu es irrécupérable! » Je lâche en rigolant. Lorsque je tends la petite à Shane, il est d'abord un peu préoccupé. Il n'a certainement pas l'habitude de tenir un bébé dans ses bras, mais je ne lui laisse pas le choix. J'ai confiance en lui et je ne me trompe pas : il retrouve rapidement son assurance légendaire, et l'image de son regard posé sur mon enfant, tout sourire, vaut mille mots. Il semble complètement ailleurs et Malia est elle aussi totalement subjuguée par son parrain. Je suis heureuse qu'ils fassent une si belle paire. « Je disais simplement que je crois bien que Malia aime son cadeau. » Je souris, attendrie. « Et son parrain aussi, ça ne fait aucun doute. » Je les observe tous les deux, en silence, pendant une bonne poignée de secondes. Je finis par me lever, un peu précipitamment. « Bon, c'est pas le tout, mais j'ai du pain sur la planche! » Je m'assois devant ma machine à coudre et me tourne vers Shane. « Quand t'en as marre de Malia, tu peux la réinstaller dans son landau, si tu veux. » Je récupère la jupe que je n'avais pas terminée et m'attaque à l'ourlet final. « Et au fait, où ça en est toi et ta coloc ? » Je demande, amusée. Cela fait quelques temps que nous n'en avons pas parlé, et je viens aux nouvelles. C'est grâce à Sawyer, quelque part, si nous nous sommes rencontrés, Shane et moi. Monsieur était jaloux ou bien protecteur ou encore les deux à la fois, et s'était empressé de venir à la boutique après avoir vu des photos de sa colocataire traîner sur la table de la cuisine. Je soupçonnais déjà à l'époque qu'il en pinçait pour la belle brune, mais cela fait à présent plus de six mois et j'imagine que la situation a dû évoluer entre les deux. Nous n'avons pas eu le temps de parler sérieusement depuis un bout bon de temps, et ma curiosité est à son apogée. Alors?

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Aouch. Divertie par la question que je viens de poser à Shane, je me plante l'aiguille dans le bout du doigt. Je le porte aussitôt à ma bouche pour ne pas saigner. « Ça en est.. Ça en est qu'elle a craqué ! Bon l'histoire manque un peu de romantisme mais elle a craqué ! » Le doigt toujours en l'air, mon sourire s'élargit jusqu'à mes oreilles, presque. « Ah oui ? » je demande, le sourire ne quittant pas mes lèvres, ma curiosité doublement attisée. « Comment ça s'est passé, du coup ? » Je tourne complètement la chaise dans la direction de mon blond, m'avançant même pour ne rien louper de ce qu'il va me dire. « Tu l'as menacé d'être encore plus chiant si elle n'acceptait pas d'être avec toi ? » Je pouffe, comme une idiote. Il me raconte alors le déclic qu'il y a eu, Sawyer bourrée qui se confesse, et puis qui oublie tout le lendemain matin. Je dirais presque : le cliché. Mais parfois, c'est vrai qu'un peu d'alcool n'est pas de trop pour révéler des choses que l'on tente tant bien que mal de cacher alors que nous sommes sobres, et qui ressortent inévitablement lorsque l'on est éméché. Cela a très probablement dû m'arriver lorsque j'étais au lycée, ou bien même après alors que je sortais avec Wilfried. Mais, certainement pas depuis que je suis à White Oak Station ; je n'ai pas touché à l'alcool depuis un an et demi maintenant. D'abord parce que j'étais enceinte, et puis ensuite parce que je me suis rendu compte que ça ne me manquait pas particulièrement. Je ne voulais pas non plus montrer le mauvais exemple devant Malia. « C'est sûr que si elle t'avait complètement rejeté, on aurait dû te ramasser à la petite cuillère. » Je souris tendrement et continue. « Je suis vraiment contente que tu sois en couple, surtout avec une fille comme Sawyer. » Je connais un peu la brune et des quelques fois où nous nous sommes parlées, je me suis bien rendu compte que c'était une fille adorable. Je ne pense pas qu'elle fera souffrir Shane - du moins pas autant que l'a fait sa précédente petite amie. « Je veux bien le croire ! » Qu'être en couple lui a manqué. Certains ont beau dire que le célibat leur convient parfaitement, que de cette façon ils sont plus libres et ils évitent les disputes conjugales, mais il vient un moment où nous avons besoin de quelqu'un d'autre, nous avons besoin d'affection, d'amour. Quelqu'un qui nous rassure, quelqu'un qui nous attends quelque part, quelqu'un qui pense à nous. Je crois que Shane a enfin trouvé cette personne. « Tu verras, ça va bien se passer avec elle. » Je suce une dernière fois le bout de mon doigt pour enlever la petite perle de sang, afin de ne pas tacher la jupe et me remets à mon ourlet. Si je m'arrête toutes les cinq minutes pour parler avec Shane, ce n'est certainement pas comme ça que je vais avancer dans mon travail !

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« Oui, bon, j'avoue... » Je lance, les deux mains en l'air, comme si je me rendais à la police. J'unis mon rire à celui du blond et secoue la tête. En réalité, le ramasser à la petite cuillère ne me poserait aucun problème, bien que si nous devions en arriver là c'est que Shane ne serait pas dans son meilleur état. Je me contrefous de passer du temps à la repêcher, à le réconforter, à le reconstruire: mais il est clair que je préfère le voir heureux, en couple avec une fille merveilleuse. « Oui mais là, c'est différent. Justement vous n'êtes plus des colocataires! » Je le rassure comme je peux, mais je pense ce que je dis. Certes ils avaient peut-être du mal à se supporter, parfois, quand ils n'étaient encore que de simples colocataires, mais à ma connaissance ils n'en sont jamais venus aux mains, et ils ont quand même tenu tous ces mois. Preuve que leur cohabitation est possible! À présent qu'ils sont réellement en couple, leurs rapports vont certainement changer ; les tensions qu'ils pouvaient y avoir auparavant, probablement dues aux sentiments qu'ils avaient l'un pour l'autre mais qu'ils n'avouaient pas, vont sûrement s'estomper. « Et sinon, je me remets à la cuisine, moi aussi: on pourrait se faire des ateliers d'apprentissage. » Je pouffe, stupidement. Il est clair que je n'aurais pas à faire un petit-déjeuner au lit composé de pancakes de sitôt, mais toujours est-il que les pancakes, je sais les faire. « Tu passeras à la maison, j'ai un super plan de travail et un super four. » Je souris, avant que la discussion se tourne à nouveau sur les deux amoureux. Nous discutons encore quelques minutes avant que je me remette au travail. Shane relance la conversation et je me promets de ne pas m'arrêter de coudre pour lui répondre. Je suis cependant obligée de faire une pause après sa question. Je prends une inspiration et relance la machine. L'avantage de lui tourner le dos, c'est qu'il ne peut pas voir mon trouble. « Ofh... » je hausse faiblement les épaules, concentrée sur le chemin que parcoure l'aiguille sur le tissu. « C'est encore un peu flou. » Je me mords l'intérieur de la lèvre, perturbée. « Nous ne sommes plus vraiment ensemble, mais nous n'avons pas non plus eu la conversation. » Je m'étais promis de prendre toute cette histoire avec légèreté et sans prise de tête, comme l'était notre relation, mais je ne peux plus me leurrer longtemps: la présence de Lucas me manque indubitablement.

Spoiler:

Je pouffe, encore et toujours. Cet homme est un vrai rayon de soleil. « Oh, mais c'est que moi je ne suis pas sûre d'avoir la bonne formation pour être professeure... » Je réponds, rentrant dans son jeu. « Non, mais je suis persuadée que tu vas assurer », j'ajoute, le plus sérieusement du monde. Je suis certaine que Sawyer n'aura pas besoin que Shane lui fasse un parfait petit-déjeuner au lit pour l'aimer. Si elle est avec lui, c'est pour ce qu'il est. S'ils ont vécu ensemble pendant plus de six mois avant de se mettre en couple, elle a certainement déjà remarqué le moindre de ses petits défauts, ce qu'elle n'aimait pas chez lui ; et bien sûr, ce qu'elle apprécie. Si elle est en couple avec lui à présent, c'est qu'elle accepte tout ça. Elle ne viendra certainement pas l'embêter pour un pancake un peu brûlé.

Je stoppe définitivement la machine à coudre quand Shane réagit à ce que je viens de lui dire. À ce train-là, je ne finirais certainement pas la jupe avant la fin de la journée, alors que j'avais prévu de le faire, ainsi que le pull de mon ami, et aussi quelques autres choses. Mais ce n'est pas grave, car je veux profiter de la présence du blond ; et c'est aussi indéniable que j'ai besoin de lui parler. Je sais qu'il saura trouver les bons mots pour me remonter le moral et me rassurer. Je souris à son compliment, attendrie. Shane lâche parfois des choses sans forcément sans rendre compte, qui sorte du cœur, et qui font énormément plaisir. Je hausse les épaules à sa dernière question, un peu dépitée. « Lui... pour changer. » Il est vrai que, la plupart du temps, c'est moi qui me fait plaquer. J'ai rarement quitté les copains avec qui j'étais, tout simplement parce que je me sentais bien avec eux. Il faut croire que ce n'était pas forcément réciproque ; ou alors ça l'était, mais la pression des amis derrière était insupportable. J'étais souvent trop bizarre pour que l'on traîne avec moi. Alors bien sûr, je m'énervais, je leur disais qu'ils étaient lâche, qu'on avait quelque chose de beau, et ils surenchérissaient, et ça finissait dans les larmes. Avec Lucas, au moins, cela s'est passé complètement différemment. « Assumer... Je ne sais pas s'il assume. Je le saurais prochainement, j'imagine. » Je fais une légère pause, avant de relever la tête. « J'ai vraiment besoin de lui parler. » Je me tais de nouveau, et mon esprit s'évade un peu. Je finis par reprendre la parole, estimant que je dois à Shane quelques explications supplémentaires. « Il est venu me voir l'autre jour, après avoir passé la soirée avec Mila. » Devant son regard perplexe, je me rappelle qu'il ne sait pas qui c'est. « Sa colocataire. Ils ont eu un bout d'histoire ensemble, rien de bien concret. Mais, j'étais au courant. » Mon regard se voile un peu, en pensant à ce que je vais expliquer ensuite. « Disons que... l'histoire s'est répétée. » Je n'en dis pas plus, tentant tant bien que mal de rester de marbre, même si je sais que si nous continuons sur le sujet, je ne vais pas tenir bien longtemps. Je souris faiblement et cherche, dans le regard de Shane, un petit peu de réconfort.

Mes lèvres tremblent durant le petit discours de Shane, qui se veut rassurant. Il me réconforte, d'un certain côté, puisqu'il me montre que le problème ne vient pas forcément de moi, qu'il n'est pas parti avec Mila parce que je n'étais pas assez bien... Mais d'un autre côté, si Shane a tant raison, pourquoi Lucas n'est pas encore avec moi à l'heure qu'il est ? Je savais que ça arriverait un jour ou l'autre, que l'on ne pourrait pas rester indéfiniment ensemble, mais il n'empêche que c'est toujours douloureux. Il ne te méritait pas. C'est souvent la phrase que l'on sort pour rassurer une amie qui s'est fait plaquer, mais au fond, c'est n'importe quoi. Ça veut dire quoi ça, qu'il ne me méritait pas ? Que je suis trop bien pour lui ? Oui, c'est ça que ça veut dire. Et je trouve que ce sont des grosses bêtises. Lucas était un homme en or, vraiment. Il a toujours été gentil avec moi, honnête, drôle, parfait. Je ne me rappelle d'aucune dispute que nous aurions pu avoir ensemble, il ne m'a jamais trompé, il ne m'a pas fait de coup bas. Il y a juste eu ce... baiser. Avec Mila. Mais est-ce que cela suffit pour dire qu'il n'était pas assez bien pour moi ? Je ne crois pas. Ce n'est pas sa faute, au fond. C'est juste le cours de la vie qui est comme ça, même si malheureusement, certains sont blessés au passage. Je hausse les épaules. Je ne sais pas quoi répondre à tout ça. Je sais que Shane dit ça pour me réconforter. « Si tu l'avais rencontré, je suis sûre que tu l'aurais adoré. » Mon ami se rapproche de moi, voyant certainement que mon état ne s'améliore pas. En fait, plus nous parlons de Lucas, et plus je m'attriste. Je souris faiblement, quand ses lèvres se déposent sur ma joue. « Merci » je lâche, à mi-voix. « Merci d'être là, et merci de tout faire pour me remonter le moral. » Je me suis promise de ne pas pleurer et je ne pleurerais pas, mais cela devient de plus en plus dur d'y résister. J'étouffe un sanglot en rigolant à la dernière remarque de Shane. Je secoue la tête : on ne le changera pas. « C'est sûr que je ne suis ni Miss Univers, ni Nobel de médecine... » je fais une brève pause avant de lever l'index en l'air. « Mais ! Je me débrouille bien en cuisine. » Je souris, un peu plus ragaillardie cette fois. Je tourne la tête en direction de Malia et pose mon regard sur son visage endormi, paisible. C'est peut-être pour ça aussi, qu'il est parti. Je ne peux pas lui en vouloir, cela doit être quand même bizarre, a vingt-cinq ans, de sortir avec une fille qui a déjà un bébé dans les bras. Je hausse les épaules, de nouveau. « Écoute » je finis par dire, reportant mon attention sur le parrain de ma fille, « c'est la vie, hein. » Je tape mes mains sur mes cuisses, comme si je concluais par là notre discussion, mon malaise et ma tristesse. « J'ai passé quatre excellents mois avec lui, j'espère seulement que l'on restera amis, que l'on ne se perdra pas de vue. » Je cherche le regard de Shane avant d'ajouter, enjouée « Et puis comme on dit, un de perdu, dix de retrouvés ! Non ? »

Je rigole, le sourire étiré jusqu'aux oreilles. Shane est un homme extraordinaire et je suis bien contente de l'avoir rencontré, il y a plus de neuf mois maintenant. Il a été d'un grand soutien et je ne suis pas sûre que j'aurais pu survivre à certains événements s'il n'avait pas été là. C'est déjà grâce à lui, réellement, que j'ai enfin pu me remettre de l'abandon d'Augustin. Grâce à lui, encore, que le second abandon du père de ma fille, couplé à celui de Zoe, ne m'a pas fait autant souffrir que le premier. Grâce à lui, aussi, que j'arrive à gérer mon rôle de mère au quotidien. Grâce à lui, enfin, que je me remettrais de ma rupture avec Lucas. C'est si rare, d'ailleurs, d'avoir un ami garçon lorsqu'on est une fille. Quand on est gamin, on se moque de tout ça, on est juste des enfants qui partagent la même cour de récréation, les mêmes jeux, et on ne fait pas vraiment la différence entre les filles et les garçons. Ça se corse carrément à partir du collège, ou la séparation se fait très rapidement. Les garçons deviennent cons – vraiment. Et si un d'eux est par mégarde ami avec une fille, ça sera forcément – selon ses amis à lui – parce qu'il veut sortir avec elle. Alors pour avoir une amitié mixte, il faut souvent braver les remarques des uns et des autres, pour prouver que non, on ne s'embrasse pas quand on n'est qu'à deux, non on n'a pas des désirs secrets concernant l'autre et enfin non, on ne prévoie pas du tout de sortir avec. Personnellement, je n'ai jamais cherché à prouver quoique ce soit aux autres : ce sont les garçons avec qui j'avais de grandes chances d'être amie qui faisaient plus attention à ce que pensaient les autres qu'à ce qu'ils avaient vraiment envie ; quand ils n'avaient pas en tête, justement, de sortir avec moi, alors que je ne les considérais que comme des bons potes. Heureusement, tout ça semble s'arranger au fur et à mesure que l'on sort de l'adolescence, mais cette période n'est pas non plus très éloignée pour moi ; c'est pour ça que cela m'a paru assez étrange la facilité avec laquelle nous sommes devenus amis – des vrais –, Shane et moi. Sans ambiguïté aucune ; il était de toute façon clair depuis le début qu'il avait des sentiments pour sa colocataire, même si non avoués, et le blond n'ignorait pas non plus ma situation. En conclusion, c'est une amitié aussi rare que précieuse, pour laquelle je ferais tout. Shane est là pour moi, il me l'assure de nouveau, dans les bons comme dans les mauvais moments. J'aimerais lui dire que c'est totalement réciproque, mais il le sait bien – et je suis trop occupée à rigoler pour le faire. Je crois que c'est peut-être sa qualité principale : faire rire les autres. Il n'a pas le mauvais humour, mal placé ; non, il sait toujours dire les bons mots qui remontent le moral quand celui-ci est au plus bas. Je ris donc de bon cœur, mes soucis s'effaçant progressivement. « Ah, sérieusement, qu'est-ce que je ferais sans toi ? » Je secoue la tête, avant de reprendre, le sourire toujours aux lèvres : « Je t'imagines bien derrière un bureau, à l'entrée de ma maison, cochant des petites cases en face du nom des prétendants. » Je pouffe de nouveau. « Enfin, honnêtement, ça m'étonnerait qu'il y en ait des dizaines. S'il y en a un ce sera déjà exceptionnel! », je déclare sans amertume. Je suis consciente qu'à partir de maintenant, ça ne sera plus aussi facile qu'avant pour avoir une relation de couple. Quand j'étais encore au lycée et sans enfant, ce n'était pas bien compliqué, pour moi. Même si les garçons avaient la fâcheuse habitude de me quitter au bout d'un certain temps parce que j'étais trop originale, je ne restais jamais célibataire bien longtemps. J'étais rigolote et pas trop laide, et même si j'étais au fond assez banale, le fait que je me moque de ce que les autres pouvaient penser de moi me donnait certainement une assurance qui plaisait chez la gente masculine. À présent, j'ai beau avoir confiance en moi et être souriante, le petit être que je porte dans les bras suffit à repousser les hommes. Même s'ils n'étaient pas embêtés par le fait que j'ai un enfant, ça ne serait pas très commode qu'ils viennent me draguer alors que je déjeune avec Malia – alors ils ne le font pas. Par respect. Je ne m'en plains pas, honnêtement. Je suis heureuse de la vie que je mène actuellement. Je plonge alors mon regard dans le bleu de celui de Shane : mon bonheur, c'est en grande partie à lui que je le dois.