Je n'arrivais tout simplement pas à y croire... Je pensais quand même avoir le droit d'être un peu tranquille de temps en temps mais apparemment, mon frère en a décidé autrement. Je passais enfin un après-midi avec Sydney, après avoir tant essayé de l'aborder, tout se passait bien, on apprenait à se connaître, elle m'avait appris quelques pas de danse même si je m'étais retrouvé plutôt ridicule étant donné que je n'arrivais pas à suivre le rythme en n'entendant pas la musique, on avait décidé d'aller se voire un café et voilà... Le groupe de Demyan est arrivé, dans toute sa splendeur et ils ont commencé à m'humilier. Je n'ai pas osé les regarder une seule fois, par peur qu'ils puissent voir dans mes yeux à quel point j'étais blessé qu'ils viennent interrompre le moment que je passais avec Sydney. Et comme ils ne me lâchaient pas, c'est la jeune femme elle même qui est intervenue. Je vous jure que si j'avais pu me planquer dans un trou à souris en ce moment même, je l'aurai fait. J'ai vraiment eu honte qu'une fois de plus ça soit quelqu'un d'autre qui prenne ma défense et là c'est pire étant donné que c'est la fille qui me plaît qui l'a fait. Ils ont fini par partir mais j'étais trop démoralisée et humilié pour rester assis à cette table. Je ne l'ai peut-être pas entendu mais je suis sûr qu'après ça, tout le café a dû être plongé dans le silence, yeux rivés sur moi. Le garçon sourd. White Oak n'est pas une immense ville. Ici, tout le monde me connaît, tout le monde sait que je suis sourd et qu'à cause de cet handicap, je n'ai pas suivi l'école normale, je n'ai même pas eu une relation de ce nom avec mon jumeau. Mon frère jumeau. On est sensé être inséparables, on devrait s'entendre à la perfection mais non, c'est même tout le contraire. C'est pour ça qu'il s'en prend à moi en envoyant ses amis se moquer de moi devant une bonne partie de la ville. J'aimerais tellement qu'on puisse avoir ce lien si spécial que les jumeaux ont mais on ne l'a jamais ressentie, pas un seul jour de notre existence. Je crois que ça n'arrivera jamais... Lui préfère me faire payer le manque d'attention qu'il a eu lorsqu'on vivait chez nos parents. Me faire payer quelque chose dont je ne suis même pas vraiment responsable. Nos parents ont toujours tenu à ce que je sois indépendant mais ils ont également fait en sorte que je puisse compter sur eux. Demyan est le seul à n'avoir jamais fait un seul effort pour apprendre le langage des signes, il n'a jamais essayé de communiquer avec moi et c'est exactement pour ce genre de raisons que dans le fond, je suis plutôt ravi que les parents ne lui ont pas accordé trop d'attention. Il avait qu'à se mêler à la famille, partager les cours pour apprendre ma langue plutôt que d'aller s'exiler pour aller faire du vélo autour du ranch...

Quoi qu'il en soit, après cette douloureuse humiliation au Starbucks, je décide de rentrer directement chez moi. J'ai à peine franchi la seuil de ma porte que je me rends compte que Sydney m'a laissé plusieurs messages sur ma tablette tactile qui me sers aussi pour communiquer avec les gens tous les jours. Enfin, pour le peu que je sorte de chez moi... Une fois débarrassé de mes Converses et de ma chemise, je fouille dans mes affaires pour trouver de quoi dessiner. J'ai une planche de bande dessinée à rendre pour la fin de la semaine et je ne l'ai pas encore rendue. J'attends également la lettre d'une école d'art près de White Oak. Ca serait la chance de ma vie de pouvoir avoir un diplôme et de ne plus dessiner dans mon coin sans aucune aide pour m'améliorer. Je reprends mes clés et m'apprête à sortir de mon appartement en chaussettes lorsque je me retrouve face à mon frère lorsque j'ouvre la porte. Je manque de faire un arrêt cardiaque, ne m'attendant pas à le voir ici. Je soupire et le regarde avec les sourcils levés, près à fixer ses lèvres pour comprendre pourquoi il est venu chez moi. Si c'est pour encore plus se moquer de moi, je n'hésiterais pas à lui foutre des coups de pieds pour qu'il retrouve rapidement la porte d'entrée de l'immeuble.

Demyan est là, en face de moi et je me sens littéralement bouillir de l’intérieur. J’ai toujours supporté ses moqueries, j’ai toujours encaissé les coups bas qu’il m’a fait. Je ne me suis jamais rebellé, je l’ai toujours laissé parce que dans ma tête, je suis celui qui l’a privé de ses parents lorsqu’il était gosse. Alors je me suis dis que la vengence de mon frère était le prix à payer même si je n’ai clairement pas demandé à naître sans audition. Ca aurait pu être lui. On était deux dans le ventre de notre mère, on est né à quelques minutes d’intervalle, une chance sur deux et malheureusement pour lui, c’est sur moi que c’est tombé. J’aimerais lui dire à quel point je m’en serais passé, j’aimerais lui dire que j’ai autant souffert que lui. Non, je n’ai pas manqué d’amour de nos parents mais je me suis pris des sacrées claques à cause de mon handicap et si lui peut avoir une vie normale à notre âge, ce n’est par contre pas du tout mon cas. Bien au contraire, l’enfer je le vis depuis que je suis né, alors que lui a pu passer à autre chose, il a pu évoluer et devenir la personne qu’il voulait. Moi je suis constamment terré chez moi, à dessiner, à rêver d’avoir un diplôme et d’ouvrir ma propre galerie. Mais je ne peux faire que de rêver malheureusement et ça, il ne l’a jamais compris et je ne lui ai jamais expliqué parce qu’il a toujours refusé de suivre les cours de langage des signes que mes parents suivaient pour pouvoir communiquer avec moi. Lorsque je suis en présence de personne qui ne parle pas ma langue, je sors ma tablette mais je déteste tellement mon frère que je n’ai jamais eu le courage de lui écrire tout ce que je pensais. Et aujourd’hui, c’était la goutte d’eau qui faisait déborder le vase.

Demyan peut avoir toutes les filles qu’il veut, il n’a pas de problèmes pour leur parler, les séduire. Il y va avec son physique et ça marche ou ça ne marche pas mais moi j’ai beau pouvoir plaire aux filles, quand elles comprennent que je ne parle pas et que je n’entends pas, elles tournent les talons. Sydney n’est pas comme ça, c’est seulement la deuxième fille qui me fait l’honneur d’échanger plus que quelques mots. Elle est restée elle. Elle cherche à me comprendre, à parler comme moi et à en apprendre sur moi. J’ai enfin l’impression d’avoir trouvé quelqu’un qui m’apprécie malgré ce fichu handicap et voilà que les amis envoyé par mon frère sont venu pour tout gâcher. Alors non, cette fois je ne vais pas encaisser, je ne vais pas rester calme. Il a été trop loin. On est sensés être des adultes et on vit chacun notre vie de notre côté, il n’a plus besoin d’en faire des tonnes pour attirer l’attention des parents alors il n’a plus aucune raison de continuer à me martyriser comme ça et maintenant que je l’ai en face de moi, je pense que je serais capable de lui faire avaler mon poing tellement j’ai envie de lui dire que je le déteste.

Etonnamment, le Demyan qui est devant moi n’a rien avoir avec celui que j’ai l’habitude de voir. Il semble mal à l’aise et on dirait même qu’il a peur. Face à cette réaction, je ne peux que froncer les sourcils, malgré le fait que toutes les petites voix dans ma tête me répètent de ne pas lui donner le bénéfice du doute. Il peut encore se moquer de moi même s’il semble plus gêné qu’autre chose. Et c’est là que, contre toute attente, mon jumeau se met à utiliser ses mains pour me parler. J’en ai les bras balants. Il ne dit pas grand chose, juste qu’il aimerait parler mais ça me laisse littéralement sur le cul. Je le regarde ébahi avant d’hésiter quelques secondes puis d’ouvrir la porte en lui faisant signe de rentrer. Je referme la porte derrière lui et vais vers le canapé pour attraper ma tablette tactile. Je ne sais absolument pas si c’est une bonne idée de le laisser entrer chez moi mais le fait qu’il m’ait parlé dans ma langue alors qu’il a toujours refusé de prendre des cours me donne envie de lui laisser la chance de s’exprimer. Même si je sens que je vais regretter. Je m’asseya sur le canapé, avec ma tablette entre les mains et j’attends que Demyan s’installe en face de moi. Je le regarde, sourcils levés et lève les mains en l’air pour qu’il dise ce qu’il a à dire.