Je ne sais pas bien pourquoi j'ai accepté. L'idée de me défouler en dansant pour de bon plutôt qu'en enseignant la danse à des élèves qui n'étaient là que parce qu'aucun autre sport ne leur convenait m'avait séduite, ce devait être cela. J'avoue que j'étais un peu dépassée. C'était une de mes amies danseuse qui m'avait enrôlée et je n'étais pas au bout de mes surprises. J'avais terminé mes cours assez tôt. Pour ainsi dire, je n'étais peut être pas la prof à White Oak Station, mais je faisais partie de ceux qui étaient toujours trop occupés à y penser pour savoir s'amuser. Non pas que je ne sache pas, mais dans mon cas, je n'y arrivais plus. Je m'étais donc préparée chez moi, tranquillement, avant d'arriver dans la salle où la soirée était organisée. Et bien sûr l'amie qui m'avait limite forcée à venir n'était pas là. Je soupirai. Mais peut importait de toute façon.

J'avais beau être brésilienne, contrairement à ce que les gens pensaient, même en enseignant la danse classique, je savais danser toutes les danses latines. Merci papa, merci maman. Enfin, surtout maman je crois. Et malgré la timidité dont je pouvais parfois faire preuve, je savais m'amuser et il n'était pas question que je sois là, assise à une table à attendre que quelqu'un daigne m'inviter, un regard d'envie. Non. Puis rester dans son coin c'était bien que dans les grandes occasions. Comme le bal du lycée. Et dans mon cas, j'avais déjà laissé passer ma chance depuis un bon paquet d'années!

Rien à dire, je suis décidément fan de cette soirée. Elle a beau n'avoir commencé que depuis quelques minutes -ou plutôt je n'étais là que depuis quelques minutes- et j'avais déjà changé deux fois de partenaires. Le deuxième était assez étrange, mais je n'aurais su comment l'exprimer. Cependant, ce fut également celui des deux avec lequel je passerai le moins de temps. En effet, à peine avais-je formulé dans ma tête l'étrangeté de ce type qu'une main se posa dans mon dos. Curieusement, j'en frissonnai, agréablement. Lorsque j'entendis la personne à qui appartenait cette main demander à mon ... cavalier s'il pouvait m'emprunter je me retins de m'écrier une réponse positive pour m'éloigner. J'attendis toutefois sagement que mon futur ex partenaire acquiesce, ce qu'il fit rapidement. Je me retournais alors vers le nouveau, tout sourire et sans un mot. En fait, j'avais beau être bonne en danse, niveau dialogue, j'aurais probablement reçu l'oscar de la personne la plus catastrophique. Si encore c'était possible.

J'aurais peut être dû faire un léger effort de sociabilité. Non pas que je ne voulais pas. Mais ça n'avait pas été quelque chose de machinal comme c'était le cas avec bien d'autres. J'étais peut être plus douée pour rire et sourire. Être discrète faisait autant partie de mes qualités que de mes plus gros défauts. Je devrais travailler ça, au moins j'en prends note. Ou du moins j'essaierai. Tandis que j'en étais à mon ... troisième cavalier de la soirée je le détaillais un instant, sans cesser de danser, ou plutôt en l'occurrence, faire semblant de danser, je crois. Il était plus grand d'une bonne dizaine de centimètres que moi. Dieu merci, je n'avais pas eu l'idée étrange de mettre des chaussures à talons. A cause de la danse classique, je restais plus souvent en ballerine qu'autre chose. D'autant plus que mes talons les plus bas mesuraient presque dix centimètres et que pour danser, ce n'était pas vraiment ma tasse de thé. Il avait des yeux rieurs même quand ses lèvres ne suivaient pas. Peut être était-ce juste l'idée d'être à une soirée comme ça. Ou peut être pas en fait.

Ce fut donc lui qui parla le premier. Et sa phrase me fit tout bonnement éclater de rire. Si ça me dérangeait? Etait-ce là une question réellement sérieuse? Non, ça ne me dérange pas DU TOUT! rit-je en appuyant sur les deux derniers mots tellement fort que j'en avais oublié mon accent américain. Je n'osai cependant pas dire que son attitude bizarre m'avait fichu la frousse. J'étais censée être quelqu'un d'impulsif, pas une froussarde de première non mais! Un prince charmant m'aurait au moins donné l'impression de ne pas être face à un mur de glace soupirai-je, très faussement déçue. Après tout, j'avais été "enlevée" par un bel homme, il fallait l'avouer, et peu m'importait désormais les autres cavaliers.

Je ne pus m'empêcher de m'esclaffer. Décidément, il n'était pas tombé sur la bonne personne. Concours de circonstances ou non, il risquait d'être désillusionné. Eh bien en fait, si, je suis danseuse grimaçai-je, tout en espérant de tout coeur qu'il ne penserait pas que c'était une blague. 

En temps normal, quand je riais une fois, j'avais du mal à garder mon sérieux, mais je m'efforçais de le faire malgré tout. En temps normal je n'étais pas non plus dans ce genre de soirées, poussée par une amie qui n'avait même pas trouvé utile de m'avertir qu'elle ne viendrait pas. Mais peu importe. Je ne voyais plus vraiment l'utilité de tenter de garder un sérieux qui m'échapperait quoi qu'il en soit. A la question de savoir si mon "ex cavalier" était très désagréable ou si cela me faisait très plaisir d'avoir changé et d'être tombé sur lui, je me contentai de le regarder un sourire malicieux collé aux lèvres. Apparemment j'avais déjà répondu à sa question précédemment. Ce qui ne m'empêcha pas de le faire à nouveau. J'aimais bien répondre à toutes les questions. Au moins, malgré la timidité dont je pouvais parfois faire preuve, je restai bavarde. Car au fond, même paradoxalement, j'étais une personne bavarde. Trop parfois d'ailleurs. Malgré tout, ça me fait plaisir d'être tombée sur toi, m'exclamai-je. Car après tout il n'avait pas l'air méchant, bien au contraire, et son visage n'était pas figé dans la même expression pour évoquer "content", "pas content". C'était déjà un bon point, et ça me soulageait. Au moins, je ne viendrais pas à danser avec un type lourd pendant un moment.

Il prit le ton de la dérision. J'aimais bien, ça me rappelait quand je me retrouvais à la maisons avec Juno, une de mes meilleures amies, et les trois garçons qui nous servaient de colocataires. Quand ce n'était pas eux qui se ridiculisaient eux-mêmes, c'était nous. Et parfois les situations, bien qu'embarrassantes, n'étaient pas déplaisantes pour tirer profit. Je ne pus m'empêcher de rire une nouvelle fois. Quitte à passer pour une abrutie, je préférais que ce soit parce que je riais plutôt que parce que je pleurais. Enfin, tout est relatif, bien sûr. J'ai l'habitude qu'on me marche sur les pieds! Cependant, je m'arrêtais subitement de parler. Peut être que je n'aurais pas dû dire cette phrase, étant donné qu'elle était à double sens. Et que le sens figuré était assez faux à vrai dire. Enfin, littéralement je veux dire m'empressai-je de me défendre dès que je m'étais rendue compte de ma pseudo erreur. Mais bon, c'est vrai que quitte à en avoir besoin pour marcher, si je pouvais faire en sorte qu'ils restent intacts toute la soirée, ce serait mieux, effectivement!

J'ai l'habitude de plaire, et j'en joue assez souvent, malgré que je n'aille pas bien loin dans ce jeu. J'aime plaire mais on me plait aussi assez facilement. Contrairement aux apparences, j'ai une tendance à m'attacher torp vite aux gens si je baisse la garde, ce qui fait que je garde toujours cette distance vis à vis de ma vie privée. Je joue, je taquine, je cherche sans retenue mais c'est rare que celà aille plus loin. Et ce soir, elle décide de rentrer dans mon jeu apparement, du moins elle n'est pas opposée à l'idée. Elle me rétorque même que ça lui fait plaisir d'être avec moi. Un sourire satisfait rejoint mes lèvres, la satisfaction d'avoir réussi à plaire en quelques phrases, c'est toujours plaisant. Enfi, peut etre pas de là à plaire, mais je ne l'ai pas fait fuir, et elle a l'air honnete quand elle me dit qu'elle est contente d'etre ici. " Plaisir partagé ! Même si tu t'en doutais surement vu que c'est moi qui suis venu te chercher .. " Je ne fais pas vraiment dans le subtile, je lui dis clairement ce que je pense, je ne vois pas l'intéret de faire le timide, ça ne fera que casser l'atmosphère détendue qui s'est installé entre nous.

Elle répond ensuite à ma phrase concernant ma manière piteuse de danser. Je pensais être le plus maladroit possible mais en fait je me rends compte qu'elle est pas mal dans ce genre là aussi. Je la laisse s'embrouiller toute seule dans ses déclarations, ne pouvant m'empecher de rire. J'avais très bien compris la première fois, mais c'était assez drole de la voir essayer de se dépatouiller dans ses quiproquo. Cette fille a l'air vraiment naturelle, pas le genre à jouer un role, c'est le genre de fille qui me plait, pour passer une bonne soirée bien sur. J'espère pouvoir rester avec elle un peu plus longtemps qu'une danse. Rectification, tant qu'elle ne part pas de son plein gré, je resterai avec elle ce soir. Je souhaite d'avance bonne chance à celui qui, comme moi, tentera de venir l'enlever de mes griffes.Je finis malgré tout par lui répondre " Vas pas te faire mal, j'ai compris ! Et je vais essayer d'être un bon élève ! Faut que la prof soit au niveau aussi.. " lançais je avec un petit air joueur, taquin. Je voulais voir comme elle allait réagir à cette petite provocation. J'espère que celà sera positif, car j'adore taquiner les gens de cette façon, mais c'est tellement plus drole s'ils le prennent bien.

C'était déjà difficile de garder mon sérieux, oui, mais il fallait dire que cette fois-ci, ce n'était pas du tout ma faute. Quoi? La faute à quelqu'un d'autre? Bah oui, tiens, pour une fois, personne ne pouvait me blâmer. J'avais certes plus l'impression de pouffer qu'autre chose mais mine de rien, c'était assez apaisant. Je décidais d'entrer complètement dans son jeu. J'avais déjà commencé mais juste un peu. Peut être parce que j'avais un contact moins facile que lui avec des gens que je ne connaissais pas ou bien que je ne connaissais que depuis quelques minutes. J'avais cependant l'impression que mes paroles seraient un peu pompeuses mais même en les tournant dans tous les sens dans ma tête je ne savais pas vraiment comment faire en sorte que ça le soit moins. Et je suis ravie que tu sois venu d'ailleurs, souris-je. Et c'était on ne peut plus sincère. Je sentais au moins que j'allais m'amuser à cette soirée.

J'étais tout de même un peu  honteuse. Il me semblait, pendant que je m'emmêlais, qu'il se moquait de moi. Mais peut m'importait, je ne le prenais pas vraiment mal. De toute façon, je ne me formalisais plus des moqueries depuis un bon moment, et j'avais appris à en rire -excepté dans un cas précis que j'essayais d'occulter de ma mémoire depuis bien trop longtemps et qui restait un souvenir plus qu'amère. J'ai beau ne connaître ce type que depuis quelques minutes, je l'apprécie déjà. Il a le sens de l'humour et ne se prend pas la tête plus que ça. C'est peut être juste le fait d'être en soirée, je ne sais pas, mais quoi qu'il en soit, je ne peux que me permettre d'apprécier. J'espérai vraiment passer une bonne partie de la soirée en sa compagnie. Au moins le fait que je n'aie de cesse de rire ne semblait pas plus le déranger que cela.

Je suis une piètre actrice, j'en suis certaine. Mais j'aime bien jouer parfois, il faut le dire. Alors lorsqu'il remit en doute mes compétences de prof, je fis semblant d'être offusquée. Je ne savais pas vraiment à quoi je ressemblais à cet instant, si mes expressions étaient surréalistes ou si mon envie de rire était parfaitement cachée sous mes traits. Aucune idée. Et ma crédibilité de femme offusquée ne risquait pas de fonctionner bien longtemps, j'en avais peur, au vu du rire qui menaçait de sortir, me tordant l'estomac, force de retenue Tu ... tu oses remettre en doute mes capacités? Puis je me rappelai que j'avais précisé que j'étais danseuse et non professeur de danse, bien que les deux soient vrais. En quelque sorte... N'en pouvant plus, j'éclatai alors bruyamment de rire. Peut être le côté brésilien qui ressortait. Mais j'étais assez fière de moi, jusque là j'avais maîtrisé mon accent comme jamais. De toute façon, il suffit jusque que l'élève écoute et ... Je me tus un instant, le regard malicieux. Qu'il soit juste capable de suivre! rajoutai-je un petit air satisfait sur les lèvres.

Je savais d'expérience que les américains -même si j'en faisais partie depuis un bon gros paquet d'années- avaient un sens de l'humour et de l'autodérision que les brésiliens, par leur sérieux parfois trop cadré, ne comprenaient pas et, pour la plupart, n'auraient jamais. J'avais beau avoir été éduquée par des parents qui faisaient plus partie de la seconde communauté, j'arrivais parfaitement à comprendre et à agir comme une américaine, dieu merci! J'espérais que mon franc parler ne le dérangerait pas. En général les gens n'appréciaient pas tellement, mais il avait la délicatesse et l'indélicatesse de taire leur désaccord. Elle sourit lorsqu'il affirma qu'elle était sûrement une bonne prof. Elle le regarda avec un air satisfait. Aucune idée, on ne m'a jamais jugée la dessus à voix haute. Je n'étais pas certaine que ma phrase veuille dire quelque chose, mais pour moi, elle était très claire. Il ne me restait plus qu'à espérait que pour lui, elle le serait également.

Mine de rien, pour quelqu'un qui se disait totalement nul en danse, voire même être un cas désespéré, il se débrouillait plutôt bien. Bon, certes, pas autant que mes élèves qui faisaient de la danse depuis un moment et ceux qui venaient me voir en dehors des cours pour faire autre chose que de la danse classique, mais bon. De toute façon, impossible de comparer classique et salsa. J'avais au moins appris ça au cours de ma formation de danseuse. Je ne pus m'empêcher de sourire. Moi, me trouver des excuses? Ce serait bien la première fois! Quoi que non en fait. Au lieu de répondre, je m'exécutais. Le briefant très brièvement sur le rapprochement des danseurs dans ces danses et sur le fait qu'il fallait se déhancher au rythme de la musique. Il s'exécutait également. Il était assez impressionnant pour quelqu'un censé lui marcher sur les pieds. Je ne pouvais m'empêcher de vriller mon regard tant sur son visage que ses pieds pour regarder combien il se débrouillait. Je devrais peut être au moins lui dire que ce n'est pas si catastrophique qu'il le pensait après tout. Non, j'ai eu des élèves pire que ça!, lui répondis-je, dévoilant alors qu'il n'était pas le premier. J'espérait vraiment qu'il comprenne qu'après tout j'étais vraiment professeur. Je n'aimais déjà pas mentir, alors quand c'était par omission, les non-dits me compressaient et je n'étais pas assez fine pour m'en sortir. Ce n'était certes rien de bien important, mais tout de même. Je préférais la franchise même avec des inconnus.

J'avais déjà prévu de passer cette soirée à m'amuser, comme toujours quand je sors d'ailleurs. C'est rare que je m'en aille avec une autre idée dans la tête que profiter de ma soirée. Pas forcément draguer, et encore moins ramener une fille dans mon lit, mais passer une bonne soirée, sans me prendre la tête, en m'amusant et décompressant de la journée surement éprouvante que j'avais passé. Et ce soir encore, vu comment elle commence, je pense passé une bonne soirée, une comme je les aime. J'ai l'impression d'être tombé sur la bonne personne. Et en plus d'être sympa, si elle peut m'aider à avoir l'air moins gauche avec mes pieds, ce n'est pas de refus. Je suis donc ses pas, apparement pas trop mal d'après moi, lui lançant quelques regards joueurs entre deux pas. Je ne suis pas un gros dragueur, bien lourd qui fait directement comprendre ce qu'il veut. je suis plus un charmeur, j'aime plaire sans forcément faire quelque chose pour. Je ne vais pas courir après une fille que je veux précisement. J'essaye de voir si le feeling passe en étant naturel, sans les déclarations à deux francs cinquantes ou les compliments lancés les uns après les autres. Celà marche moins souvent, c'est sur, mais c'est ma façon d'operer. Je ne veux pas plaire pour dire de plaire et rajouter une fille à mon tableau de chasse, ce n'est pas mon style.

Notre danse continue donc, quand je lui demande si je ne suis pas si mauvais que ça. Elle me répond avec un air presque joueur qu'elle a déjà eu pire. Ah, elle est apparement vraiment prof. Il fallait que ça tombe sur moi, moi qui aime bien diriger les choses et être au dessus, je suis gaté ce soir, c'est tout le contraire. Celà me faisait une prof de danse particulière en meme temps, c'était pas plus mal. Et au moins, elle doit avoir l'habitude de voir des " danseurs " tels que moi, ce qui atténue peut être un peu le ridicule que je ressens. Enfin, tout est modéré, je m'amuse, et tant pis pour le ridicule, il n'a jamais tué personne comme on dit. " Je prends ça comme un compliment ! "
Une moitié de compliment certes, mais le rêve est encore permi je crois. Je lui souris, continuant à danser à ses cotés, mes jambes bougeant au rythme des siennes et mes mains parcourant tantot son dos et tantot les siennes. La musique s'arrête, et avant qu'une autre commence je lui lance " Je peux t'offrir un verre ? Je voudrai pas qu'un autre vienne me piquer ma prof tu comprends " avec un petit air joueur, taquin, c'est une façon de lui montrer que je passe un bon moment avec elle, elle appréciera surement.

J'étais peut être danseuse et professeur de danse, mais j'avais oublié à quel point la salsa pouvait être fatigant quand on n'en avait plus l'habitude ou quand on n'en faisait pas souvent. Etant donné que je commençais déjà à être vannée par cette danse, je préférais ne pas imaginer à quel point pouvait l'être mon cavalier -à condition bien sûr qu'il le soit, après tout tout dépend des personnes. C'est peut être juste parce que je suis fatiguée de ma journée aussi, ce qui ne m'étonnerait pas beaucoup non plus. Néanmoins, le sourire aux lèvres, je me tais. J'ai l'habitude de ne pas me plaindre même quand j'en rêve. Merci papa, merci maman, je crois que c'est grâce à vous ce trait de caractère ... Je souris alors à mon cavalier. Il fallait que j'essaie de rire un minimum, je me sentais trop bécasse sinon. Mais c'était bien dur de résister C'en était un rajoutai-je au bord de l'explosion de rire. Enfin, une sorte seulement, je pense continuai-je, m'empêtrant un peu plus dans une situation d'où je saurais difficilement me sortir. Je soupirai alors, toujours à moitié morte de rire. Je laisse tomber, c'est trop dur de parler sans m'emmêler dans mes propos...

Honteuse? moi? Oui, c'était vrai. Je n'étais pas vraiment douée pour communiquer clairement. C'était limite dans ces moments là que je regrettais de connaître deux discours. Ceux du pays où je vivais et du pays d'où je venais. C'était tellement plus facile de parler portugais avec mes parents, j'avais beaucoup moins de difficulté qu'en anglais. Mais bon, je me devais de m'accoutumer depuis assez longtemps pour arriver à y faire un maximum abstraction. Au moins j'étais risible, c'était déjà ça! Même si je n'étais pas certaine, qu'en soi, ce soit une très bonne chose. Tant que je ne ressemblais pas à un clown de toute façon...

La musique s'arrêta et nous avec, pour mon plus grand bonheur, ou plutôt celui de mes jambes qui étaient un peu douloureuses. Peut être qu'en fait, je n'étais faite que pour la danse classique. Je souris à sa réflexion. Je veux bien, oui, merci. Je me retenais d'ajouter qu'il n'y avait aucun risque que quelqu'un vienne lui prendre sa prof. Car je m'amusais bien trop avec lui comme partenaire de danse qu'avec les autres et que je risquais de le coller un peu toute la soirée, tant que je ne l'insupportais pas. Je ne pus m'empêcher de sourire de plus belle. Puis, avec un sourire en coin j'extériorisais ma pensée C'est pas dit que je sois d'accord pour accepter d'avoir un autre élève de toute façon! ris-je.

En règle générale, je suis quelqu'un d'assez droit, honnête, sincère, j'ai des défauts et je les assume, je ne cherche pas à jouer un personnage. Et la jeune femme que j'ai en face non plus visiblement. Son point faible est la maladresse apparement, la maladresse dans les mots. C'est à se demander si elle est originaire d'ici ou non. Enfin elle parle bien, mais on voit qu'elle cherche ses mots, elle n'est pas très à l'aise. Je n'oserai bien sur pas lui demander, de peur de m'être trompé, celà la mettrait trop mal à l'aise. Ce'est peut-être juste moi qui la perturbe ! Oui, j'ai bien le droit de rêver quand même. Cette idée me fait sourire, d'autant plus qu'elle arrive au moment où elle s'embrouille pour réussir à me dire qu'elle m'avait bel et bien fait un compliment. Sa façon d'etre affiche un sourire sur mon visage, je pense, à moins que la soirée se passe mal, qu'il y a des chances que je la revois, elle a vraiment l'air d'être un peu dans la meme façon de voir les choses que moi, du moins en soirée. Je ne pense pas à quelque chose de sentimental, étant un peu handicapé dans ce domaine là depuis plusieurs mois, mais au niveau amical. Je lui réponds alors " Je vois ça ! Serais-ce moi qui te perturbe ? " avec un air taquin, tout en essayant de garder le rythme et ma respiration. Effectivement, la salsa c'est physique, contrairement à ce qu'on pourrait penser en regardant les professionnels se déhancher de manière plus qu'artistique. Me concentrer à la fois sur mes pieds, mes mains, mes taquineries et ma respiration, ça commence à faire beaucoup. Le petit verre a donc de multiples raisons, il va régler pas mal de mes contraintes du moment : être sur de ne pas la voir partir, reprendre mon souffle, boire un coup et évidemment, faire plus ample connaissance avec ma chère prof de danse. La danse finit, on s'éloigne vers le comptoir, s'asseyant un à coté de l'autre quand elle me dit que de toute façon elle n'aurait surement pas accepté un autre danseur. Cette remarque me fit sourire, elle n'est peut etre pas très adroite avec les mots mais elle sait faire comprendre ce qu'elle pense quand même. " Un nouveau point positif.. Je suis gaté dis donc ! En tout cas beaucoup plus que celui a qui je t'ai arraché tout à l'heure.. je m'en demande s'il s'en est remis le pauvre ! "

Les compliments ne lui font pas peur, alors autant laisser sortir ce que je pense. J'ai tendance à me retenir, ne voulant pas faire fuir la jeune fille avec qui je passe la soirée. Certaines peuvent être effrayées ou mal à l'aise face à un homme trop entreprenant, mais ce n'est pas son cas. Elle semble naturelle, tout comme moi, et ne pas se prendre la tête. Je réalise alors que je ne me suis meme pas présenté, ce qui risque de bloquer la discussion assez vite. " Au fait, moi c'est Shane ! C'est pas mal des fois de connaitre le prénom de la personne en face " effectivement, c'est mieux. Phrase bateau je sais, mais il fallait que je meuble un peu, je n'aime pas être trop froid, et surtout, ma tendance a l'humour, souvent très léger, voir raté, reprend le dessus. Je lui souris, écoutant attentivement sa réponse, en attendant l'arrivée de barman. Mes yeux tentent de descendre sur sa tenue en toute discrètion, malgré que je ne sois pas tèrs doué pour ça. J'avais bien vu, elle est jolie, élancée, féminine, je suis en bien bonne compagnie ce soir. Célibataire, certes. Fermé à l'amour, certes. Mais rien n'empêche de passer un bon moment quand meme.

J'avais un peu honte. Cela faisait bien longtemps que je ne m'étais pas trompée à ce point dans mes phrases. J'avais appris à faire la distinction, me mélangeant toujours un peu, parfois trop, mais jamais à ce point-là. J'espérais seulement ne pas passer pour une abrutie. J'avais beau ne me soucier que très peu de ce que les gens pensaient de moi, je préférais tout de même ne pas paraître stupide, vu que c'était ce qui me mettait le plus souvent dans l'embarras. Probablement un choc culturel, comme dirait mon père avec sa force de conviction qui m'avait toujours impressionnée.

Je dois avouer, je suis ravie. Premièrement d'être sortie. C'était visiblement la meilleure chose à faire, même si je n'étais pas forcément surbookée et hyper tendue comme d'autres par rapport à leur job. Mais me changer les idées était l'avis le plus censée qu'il m'ait été donné d'avoir. Enfin, d'avoir eu en l'occurrence, mais peu importait. Au moins, je m'amusais et j'apprécier la compagnie de cet homme. Il avait l'air d'être à peu près sur la même longueur d'ondes que moi, et je n'en demandais pas plus pour me divertir des quelques soucis que je pouvais avoir en ce moment, surtout à la coloc. Sa question me surprit un peu. Cependant, manquant de m'étouffer de rire, je rentrais dans le jeu avec une facilité qui me déconcertait moi-même. Peut être, qui sait? ajoutai-je. Après tout, si j'avais appris quelque chose en entendant mes élèves faire leurs devoirs à la dernière minutes avant et bien sûr après mes cours: la plupart de nos réactions nous dépassent. Enfin, si c'était bien ce que j'avais compris. Toujours était-il que celle-ci me dépassait pour de bon.

Nous nous arrêtâmes de danser. Mes pieds tout endoloris -finalement peut être plus que mes jambes douloureuses- nous nous asseyions aux bar, pour leur plus grand bonheur et également le mien. J'avais presque oublié à quel point la salsa pouvait être intensive. D'autant plus que je m'y étais collée depuis un bon moment en ayant eu le temps avec mes différents cavaliers. En parlant de mes "ex cavaliers"... J'espère pour lui... personnellement, je vais avoir beaucoup de mal à me remettre de tout le temps que j'ai passé en face de lui... Ce que je venais de dire n'était pas très sympa. Ni pour Shane ni pour l'autre gars, mais j'avais eu besoin de le dire. Néanmoins, une fois encore, je me rattrapais. Après tout, j'avais beau être maladroite dans mes formulations, en temps qu'américaine, j'étais aussi très maladroite pour exprimer ma pensée tout court. Enfin, je veux dire que j'aurais préférer passer plus de temps à m'amuser à danser avec toi plutôt qu'avec lui. Une fois encore, je n'étais pas certaine d'avoir dit les choses comme il le fallait, mais je commençais sérieusement à me lasser de me reprendre. C'était dans ce genre de moment que je me demandais soit pourquoi je ne me taisais jamais, soit pourquoi je n'étais pas juste américaine pour pouvoir communiquer avec les autres sans toujours craindre de me planter de sens.

Je le regardais un instant. Je venais de comprendre qu'il parlait de prénoms et que je devais, par politesse, lui dire comment je m'appelais également. Catalina! Oui effectivement! m'exclamai-je en riant.

Elle rentre légérement dans mon jeu, ce qui ne peut que me faire sourire. Je ne cherche pas quelque chose de sérieux, ni même un coup d'un soir, je veux juste passer une bonne soirée, je ne crois pas que ça soit trop demander. En tout cas, c'est ce qu'elle a l'air de vouloir elle aussi, vu la façon dont elle agit avec moi. Je réponds à son " Peut-être qui sait ? " avec un petit clin d'oeil provocateur, pleins de sous-entendus, que je lui laisse le soin d'imaginer à sa guise. Je ne vais pas lui sortir les grandes phrases de dragueur, ce n'est ni mon style, ni mon but pour cette soirée, juste être taquin comme je le suis toujours, un brin charmeur, juste ce qu'il faut pour mettre la demoiselle à l'aise. Elle est par contre tellement persuadé qu'elle n'est pas claire, qu'elle se repète constamment, disant ses phrases de différentes manières, même si j'ai compris dès la première fois ce qu'elle souhaitait dire. Est-ce le stress ? ou est-elle mal à l'aise ? Ou simplement comme ça naturellement ? Je ne la connais pas encore assez pour la titiller sur ce point là, je vais attendre un peu. Je lui réponds alors " C'est pas sympa pour lui, mais tant pis, ça l'est pour moi .. Merci du coup ! Moi aussi je passe un bon moment "

Un peu de gentillessene fait de mal à personne après tout ! Elle se présente également, en réponse à ma présentation, suivi de ma petite phrase qui la fait rire. Elle a l'air de rire facilement cette jeune fille, ce qui me promet de passer un bon moment avec elle. Le serveur nous apporte alors nos verres, lui tendant le sien je lance " A mon initiation à la salsa et à ma prof particulier alors ! " La soirée se passe sur le ton de la bonne humeur, sans prise de tête, sans embrouille avec ma coloc', ni sa meilleure amie, je passe un moment agréable sans me soucier des vies que je vais sauver demain, ça fait du bien de se déconnecter de la réalité de temps en temps. " Catalina, c'est joli et original ! Ca vient d'où ? Du même endroit que ton accent je suppose !  " Oui, il fallait être sourd pour ne pas entendre ce petit accent latino qui resonne dans les paroles de Catalina, accent qui résonne aussi dans son prénom d'ailleurs. Juste le son de sa voix me transporte dans un autre pays, celà associé à sa façon de danser, encore plus en salsa, me fait littéralement voyager. Je suis tombé sur la bonne personne ce soir pour me déconnecter de ma réalité, comme je disais, pour penser réellement à autre chose. D'ailleurs, à ce moment précis, je ne pense à rien d'autre qu'à mon verre, ma danse passée, surement ma danse future, et ma jolie partenaire, et prof de danse.  

C'est assez étrange en fait. En venant ici, j'étais certaine que les quelques gars qui m'accosteraient auraient été des types super lourds, simplement en manque que ce soit d'affection ou d'autre chose bien sûr. Et je suis assez surprise de voir que sur les trois avec qui j'ai parlé, seul le deuxieme avait des réflexions lourdes, bien qu'il était tout sauf un dragueur. Heureusement d'ailleurs sinon je l'aurais sûrement baffé ou insulté. Je pouvais me montrer parfois tellement impulsive que ça étonnait tous les gens qui me connaissaient, moi également. Oh, ajoutai-je en faisant mine de culpabiliser J'espère qu'il ne m'en voudra pas trop!

Après tout je m'en fiche. Je ne connais pas l'autre gars, et je n'ai pas envie de le connaître. J'étais resté moins de temps avec Shane qu'avec le gars en question, et pourtant, j'avais l'impression de connaître mon nouveau partenaire de danse bien mieux que l'autre. Alors que, techniquement, je ne connaissais ni l'un ni l'autre. Le serveur arriva alors avec nos deux verres. Shane me tendit le mien et je le saisis. Je l'écoutais lancer sa phrase, un sourire aux lèvres. C'était pas mal de trinquer pour ça. Même si d'habitude je ne trinquais jamais, en fait.

Je levai les yeux vers lui lorsqu'il affirma que mon prénom était "joli et original". Je bus une gorgée et posai mon verre avant de lui répondre. Merci... C'est plus ou moins portugais... même si je suis brésilienne dis-je en souriant. Ca faisait beaucoup d'informations sur moi d'un coup, mais après tout, ça ne me dérangeait pas outre mesure. J'avoue que je suis un peu déçue. Je pensais qu'avec la musique, mon accent passerait inaperçu! ris-je. Et en plus c'était vrai. Je ne m'attendais pas à ce qu'il s'entende, surtout que j'essayais encore et toujours de m'en débarrasser. Mais faute d'une mère qui avait l'accent brésilien le plus prononcé qu'il m'ait été donné de connaître, je n'avais pu que continué à parler sur son modèle, en l'imitant, vu qu'apparemment c'était ce que faisaient les enfants en apprenant à parler. Et toi, tu viens d'où ? demandai-je, espérant dévier la conversation sur autre chose que mon accent.

Buvant mon verre, je l'écoute me répondre en ce qui concerne son accent. Une portugaise, enfin une brésilienne. Maintenant que je le sais, c'est vrai que celà aurait pu me paraitre flagrant. Cet accent latino, cette soirée salsa, la danseuse, ça fait un peu cliché mais pour le coup c'est vrai. J'avais eu la chance de tomber sur une brésilienne, j'ai bien tiré le gros lot ce soir. On a tous ce petit fantasme enfoui au fond de nous, qu'on ose pas réveler à notre copine parce qu'on sait qu'elle ne correspond pas aux critères. Moi c'est la belle brésilienne, se déhanchant sous mes yeux. Bingo ! Je lui souris donc et lui répond, un brin charmeur " Ton déhanché aurait du me mettre la puce à l'oreille ! T'es ici depuis longtemps ? " Effectivement, si elle a cet accent, ce ne peut pas être seulement des origines, elle a forcément vécu la bas. J'adorerai y aller d'ailleurs, c'est vraiment un endroit du monde qui me tente énormément. Et puis si les femmes sont toutes comme Catalina, celà me tente encore plus.

A moi d'étaler mes origines, ce qui allait être beaucoup moins excitant que pour elle. Elle ne va pas voyager bien loin en entendant d'ou je viens. Je suis né ici, et je n'ai jamais vraiment bougé. Je n'ai pas des parents voyageurs, plutot casaniers, l'inconnu ne les a jamais attiré, donc à part le canada je n'ai pas connu grand chose pendant mon enfance; C'est surement pour ça que mon envie de voyager est immense aujourd'hui. Autant tourné la situation à l'humour pour quelle ne s'ennuit pas totalement en m'écoutant. Je me retourne alors légérement, sur le coté, pointant l'entrée de la boite avec mon doigt " Tu vois l'hopital au bout de la rue ? Ben d'ici ! Et le pire.. c'est que j'exagère même pas ! Je suis né ici, un enfant du pays comme on dit " Un sourire toujours affiché sur mes lèvres, il n'y a aucune raison qu'il s'efface.

Finissant mon verre, je l'écoute toujours me répondre avant de lui demander " Et au passage, qu'est-ce qu'une jolie brésilienne comme toi fait seule ici, dans ce genre de soirée ? "Une façon plus ou moins délicate d'en apprendre un peu plus sur elle. Je suis du genre socialble, à aimer connaitre les gens, sans forcément qu'il y ait une raison particulière, et ça n'a pas l'air de déranger.

Et voilà qu'on parlait de moi. Mais voilà, je me devais, en toute politesse, de répondre. J'y mettais même un mot d'ordre. Cependant, les yeux baissés, je ne pouvais pas m'empêcher de sourire. Shane semblait avoir le don pour dégeler une situation, ou empêchait un malaise dans une conversation. Don que je n'avais pas, l'enviant un petit peu. Eh bien, avant d'être à White Oak Station, j'étais aux Etats-Unis, mes parents ayant eu une promotion... Et je suis au Canada depuis l'université. Je n'avais pas répondu complètement à sa question, je le savais. Mais je ne voulais pas vraiment étaler ma vie en quelques secondes à quelqu'un que je ne connaissais que d'une danse quelques minutes auparavant, même si je l'appréciais déjà. Mais je préférais le laisser parler et étaler sa vie plutôt que continuer à monopoliser la parole. J'avais beau être assez bavarde par moment, j'avais tout de même mes limites.

Il faut dire que même venant d'une autre contrée que le Canada, je trouvais le froid impressionnant. Je savais d'ores et déjà que pour les gens qui vivaient dans le haut de l'Amérique leur pays était tout ce qu'il y avait de moins exotique, mais personnellement, je trouvais cette "partie du monde" bien plus intéressant que la mienne. Même si c'était au dessus des Etats-Unis, le Canada faisait pour moi partie du rêve Américain et tout ce que l'amérique latine ne pouvait prétendre avoir.

Tandis qu'il répondait à la même question que moi, je ne pus m'empêcher de sourire. J'avais conscience que, d'une certaine façon, pour lui comme pour les autres qui pensaient ainsi, sa vie n'avait pas autant de superbe qu'il l'imaginait. Mais pour moi c'était juste ce que j'aurais rêvé d'être. Comme quoi on est jamais satisfait. C'est trop mignon lâchai-je. surtout dit comme ça! ris-je.

Puis vint la question que je remuais dans ma tête depuis que j'avais posé les pieds dans cette salle. Je n'étais pas censée être seule. J'y allais avec une amie. Je soupirai avant de me rendre à l'évidence. Qui m'a tout bonnement lâchée d'ailleurs.

Je suis d'une nature très sociable, ce que la jeune fille a bien du remarquer. Je ne suis pas du style à me prendre la tête, ni même à me prendre au sérieux d'ailleurs. Heureusement, sinon j'aurai eu l'air bien ridicule face à cette danseuse brésilienne. Mon sourire détendu et mon ton amical ne peuvent instaurer qu'un climat détendu également. Autant la mettre à l'aise, on passera forcément une meilleure soirée que si on est plein de pudeur et retenue tous les deux. Elle me répond donc qu'elle est ici depuis l'université et qu'avant elle était aux Etats Unis. Je fronce légérement les sourcils. Et le Brésil dans tout ça ? J'ai du mal à suivre son histoire là. Tant pis, je vais un peu insister, ma curiosité me perdra " Hm.. Je doute que ça soit à New-York que tu es choppé cet accent là ! Dis moi tout Shakira ! " et voilà le retour de ma vilaine manie de donner des surnoms débiles. J'espère qu'elle le prendra sur le ton de la rigolade, sur le même ton que je le dis. Ben quoi ? Danseur, blonde, amérique latine: Shakira. Il ne m'en faut pas plus pour trouver un surnom.

Et voilà que je passe au stade " mignon " , ce qui n'est pas vraiment un compliment pour un homme. On tente toujours être drole certes, mais pas de passer dans la case mignon. Les enfants sont mignons, pas les hommes. Ah ma vieille fierté qui reprend le dessus de temps en temps. Malgré tout, je sais que pour elle c'est un compliment, les filles adorent les trucs mignons. Je lui souris alors avant de rétorquer " Ne répètes à personne que je suis mignon, j'aurais l'air de quoi moi en pompier mignon ? Ah oui je suis pompier d'ailleurs ! Tu mets le feu sur la piste, et moi je l'éteinds " Je ne peux m'empecher de sourire à ma propre remarque, certes pas très recherchée mais que je trouve amusante quand même. Je me fais rire, c'est déjà ça, je ne m'ennuie jamais au moins.

Elle me dit alors qu'elle n'aurait pas du être seule ce soir mais que son amie l'a abandonné. Tant pis pour elle, j'ai tout gagné moi du coup. Je hausse les épaules, un air souriant et lui réponds " Je t'ai sauvé de la solitude alors ! "Le feeling passe bien avec cette Catalina, malgré son air timide et réservée, très contradictoire avec son déhanché, soit dit en passant. Une lionne sur la piste mais toute discrète quand elle en sort, le paradoxe des artistes il parait.

Le rire toujours aussi facile, je peux assurer que bien loin de mes colocataires qui se prenaient sans cesse la tête pour un rien, j'étais bien. D'accord, il y avait des bons points quand j'étais à la colocation, mais quand nous étions tous réunis, c'était la mort. Nous étions beaucoup trop et le fait qu'il n'y ait vraiment que deux filles qui y habitent faisaient ressortir certains aspects machistes qui me déplaisaient depuis que j'étais petite, moi qui venais d'un pays assez conservateur sur le rôle minime de la femme dans la société.

Bon, d'accord, je ne fais pas partie des gens vraiment très bavards, surtout quand je n'y mets pas beaucoup de bonne volonté, et qu'il s'agit de parler de moi. Cependant, je fronçais les sourcils lorsqu'il m'appella Shakira. Elle est pas colombienne celle-là ? Je fis mine de bouder J'aurais préféré être comparée à Gisele Bundchen D'abord parce qu'elle est vraiment brésilienne, elle. Et ensuite, parce que dans ma vision de la mesure du canon, je la trouve beaucoup plus splendide que Shakira. Même si elle n'est pas moche non plus, ce n'est pas moi qui dirais le contraire. De toute façon, je n'étais pas une bonne chanteuse! Cependant, force d'admettre que j'étais incapable de garder mon sérieux très longtemps et que je n'étais peut être pas une aussi bonne actrice que ce que je voulais l'admettre, je ne pus m'empêcher de sourire, à défaut de ne pas éclater de rire. Pour une fois, ça me changerait tiens!

Je soupirai tout de même un peu. Même si dans le fond, j'étais également assez étonnée. Je n'aimais certes, pas parler de moi, mais c'était la première fois qu'on me demandait réellement d'où je venais et tout. Enfin, en ne me connaissant pas, mes amis m'ayant déjà forcé à dénouer ma langue. J'ai vécu au Brésil jusqu'à mes cinq ans. Je suppose que j'ai gardé l'accent grâce, ou à cause, je ne sais pas, à ma mère. Je ne pus m'empêcher de sourire. En fait, j'aimais cette partie de mon histoire. Vu que je ne m'en souvenais pas vraiment, c'était la seule partie que je pouvais évoquer sans avoir de regrets ou quoi que ce soit. Mais pas question d'évoquer ce point de vue, on me prendrait encore plus pour une folle.

J'éclatais de rire. Ne t'en fais pas, ton secret est bien gardé avec moi. Puis de toute façon, il y a apparemment peu de chances que l'on me comprenne! Je souris. Tu veux me faire rougir c'est ça? ris-je de plus belle. J'aurais bien pu me défendre, assurer que je ne savais pas danser, ça me ferait défaut: je ne serais pas crédible un seul petit instant. Surtout en étant professeur de danse.

Soupirant, mauvaise actrice que j'étais, je secouais la tête faussement. L'air toujours aussi faussement désespéré je m'exclameLes gens ont la fâcheuse manie de m'abandonner. J'adore me lamenter sur mon sort, surtout quand je n'en ai aucune raison. Pour la première fois de la soirée, je me suis un peu lâchée. J'avoue que je ne sais pas si je vais le regretter. C'est toujours à ce moment précis que je trouve le moyen de vraiment me ridiculiser. J'espère que cette fois-ci, ça va passer "incognito", enfin si l'on peut dire cela ainsi. Cependant, je lui souris. Merci du coup, je suppose?

"Je passe vraiment pour un inculte si je t'avoue que je ne sais ABSOLUMENT pas qui est cette Gisele ? " Autant être honnête plutot que lui faire croire que je préfère simplement Shakira. Ca me rendra peut-être encore plus mignon à ses yeux qui sait. Je dis donc ça avec le sourire, en toute honnêteté. Elle, tout comme moi, semble prendre la soirée avec détente, humour et plaisir, sans se poser de questions, elle profite tout simplement. Quelques compliments lancés à droite à gauche, des petits jeux de regards, j'aime bien taquiner les femmes de cette façon, sans jamais attendre quoi que ce soit de plus. Je ne fais rien espérer, je suis juste ambigue, je détends l'atmosphère et je m'amuse. Il y a quelque chose de mal à ça ? Je ne crois pas. Elle en vient alors à parler de son accent, magnifique accent selon moi, qui lui donne un coté latina sexy, mais qui semble lui déplaire. Elle a du se faire souvent charier car un mot sur deux est difficile à comprendre mais moi j'aime bien. Je rétorque alors " Tu peux dire grâce à ta mère. Y'a des milliers de filles qui rêveraient de pouvoir rouler les "r" comme tu le fais, car il y a des milliers de mecs que ça fait fantasmer.. Crois moi ! " Moi je fantasme ? je n'ai jamais dis ça ! Encore une fois, je le sous entend juste. Elle reprend ensuite, une nouvelle fois sur son accent. Ca doit être un vrai complexe pour elle, c'est impressionnant. Comment ça personne ne la comprend ? Je la comprend très bien moi, et les autres aussi, j'en suis certain. Et est-ce que je veux la faire rougir ? ce n'est pas mon but premier mais pourquoi pas. C'est toujours plaisant de faire rougir une fille.Ca montre à la fois qu'on peut lui plaire, et qu'on a réussi à trouver le point sensible. Un petit challenge réussi en quelques sortes. " Pourquoi ? Ca marche ? "lançais je avec mon fidèle regard narquois.

Elle veut maintenant me remercier de l'accompagner. Comme si c'était une corvée de passer du temps avec elle. Bien au contraire, mais ça je l'ai déjà dis. Elle n'est peut etre pas vraiment convaincu. Elle a l'air tellement épanouie à l'extérieur, mais apparemment très torturée à l'intérieur cette Catalina. Ma curiosité me fait une nouvelle fois défaut, quand je lui réponds " Me remercie pas, je passe aussi une très bonne soirée ! Pourquoi t'en doutes autant ? Ni ton accent, ni ta présence ne dérange tu sais "Remarque assez intrusive dans sa vie, remarque à laquelle elle ne devait pas s'attendre, remarque qui risque de lui faire peur et de la braquer, mais remarque que j'avais besoin de dire, alors tant pis. J'espère juste qu'elle ne prendra pas ses jambes à son cou et qu'elle va simplement me répondre.

Je lui souris. Je n'ai pas pour habitude de m'intégrer rapidement aux autres, même si je sais le faire facilement quand même. J'avais, un moment, oublié que pas tout le monde n'avait les mêmes références que moi. Je n'étais pas non plus très douée pour les références américaines, canadienne ou autre. J'étais plus douée pour tout ce qui touchait à l'Amérique Latine qu'autre chose, même si je n'étais pas non plus une inculte totale dans les autres cultures: je savais m'intéresser à tout. Mais je me sentais, à cet instant précis, coupable, de lui avoir donné un exemple qui le perdrait totalement.

Je passais une mèche de cheveux tombée sur mon visage derrière mon oreille. C'est un mannequin brésilien... Je me mordis la lèvre. Je me sentais particulièrement minable à cet instant précis.

Et voilà, je me sentais d'autant plus minable. Parler de moi était la dernière chose que je comptais faire à cette soirée. Mais tant pis. Sûrement! affirmai-je dans un petit sourire. Mais parfois je me dis qu'être conforme, de ressembler aux gens qui m'entourent, ce serait bien aussi... Je n'aime pas être différente. J'avais vécu toute ma vie en étant différente. A commencé par mes difficultés pour apprendre et dissocier les deux langues que j'étais censée parler depuis mon arrivée aux Etats-Unis. Puis au lycée, j'avais dû affronter les rumeurs détournées sur ma différence. Entendre que j'étais une personne que je n'étais pas simplement parce que ma différence dérangeait et qu'on voulait me détruire. Et quand j'étais partie au Canada, j'avais dû faire face une nouvelle fois, me taire et essayer de me fondre, en vain, dans la masse. La preuve: on remarquait encore mon accent dans ma façon de parler.

La tête baissée, je souris de plus belle. Il me faisait bien rire avec sa façon de faire. Et son regard narquois me donner envie d'exploser de rire -ce dont je me retenais à grand peine. Faut voir!

Me voilà maintenant surprise. Non, non, je n'en doute pas... enfin, je veux dire que je te crois Tais-toi Lina, tu t'enfonces! Non, ça ne me dérangeais pas de m'enfoncer. J'avais l'excuse du "Je ne suis pas Canadienne" qui m'allait très bien. Mais tu dois bien être le seul...