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 « play crack the sky » (BAZ&ELSA)

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Message(#) Sujet: « play crack the sky » (BAZ&ELSA) « play crack the sky » (BAZ&ELSA) EmptyDim 5 Jan - 19:08


JUIN 2006

Je marche, j’erre, je cherche. Je cherche Basile. Les branches plient sous mes pieds, mes mains balaient le blé qui s’étend sur des kilomètres à la ronde. Il est là, quelque part dans ce silence éternel qui ne renvoie que le souffle du vent. Jacob m’a abandonnée à la rivière; obligé d’aider la famille sur la ferme. Depuis ses cinq ans qu’il participe – c’était peut-être pour ça, finalement, la famille nombreuse. Ramasser les œufs du poulailler, transporter le lait à la maison, surveiller le troupeau. Une enfance rapiécée par des responsabilités d’adulte. Alors que du haut de ses neuf ans, ses épaules prennent déjà une carrure, son regard gagne en réalité, je garde mon esprit enfantin et  j’attends l’aube de ma puberté, le cap des onze ans passé.

Mes cheveux mouillés collent contre ma nuque, les gouttelettes teintant mon gilet de coton d’une nuance plus foncé. Le soleil toujours haut dans le ciel me réconforte même si l’air se rafraichit en cette fin d’après-midi. Sur ma gauche, une zone dégarnie parle pour Basile qui ne dit rien. J’approche lentement, apercevant son corps étalé entre les longues herbes. Mes pas ralentissent, piétinent presque. Je m’allonge à ses côtés – nos huit ans se mesurant également sur notre taille divergente. Je respecte son silence un long moment, nos regards figés sur le ciel bleu aux nuages épars.


    ELSA – « Tu penses que tu vas re-sourire un jour? »

C’est tellement innocent; aux deux sens du terme. Je fixe son visage qui se tourne lentement vers moi. Ses traits remplis de désolation. Il ne répondra rien, je le sais. C’était pratiquement une question rhétorique. Parce que Basile est en deuil. Un dix-neuvième anniversaire même pas célébré et le poids d’un amour meurtri, disparu. Un amour parfait, un premier amour. Sincère et timide, intriguant et apeurant. Y’a quelque chose en Basile qui est mort, qui s’est envolé en même temps qu’elle. Comme si ce qu’il lui avait donné, il ne pouvait plus le reprendre, maintenant qu’elle n’était plus là. J’appuie ma tête humide contre son épaule inerte. Pour le réconforter, pour me réconforter. Et pour éviter son regard détruit, éteint, pessimiste. J’ai onze ans, mais j’imagine. Comme si c’était Jacob qui s’était éclipsé dans un au-delà incertain. La douleur pince dans ma poitrine et je chasse l’idée. Jacob est là maintenant, et il le sera éternellement. Pas le choix.

Le soleil descend lentement, je sais plus combien de temps on reste là, en silence. Mais mes cheveux ondulent une fois séchés. Ma joue est rosie par la dureté de son épaule frêle. Le ciel déploie ses palettes qui se reflètent avec une beauté naturelle sur les champs de blé doré. Mais rien n’est vraiment beau aujourd’hui. Je me redresse, assise, les jambes croisées, le regard baissé contre son ventre qui se soulève et s’abaisse avec régularité. Il survit, rien de plus. Je voudrais le sauver, comme on s’est si souvent rescapés l’un l’autre, depuis toujours. Y’a rien à faire, rien à dire. Je le sais. Mais je ne l’accepte pas. Le temps cicatrisera les blessures, mais l’esprit de Basile restera toujours un peu, une plaie béante. Un coup mortel, qu’on supporte à jamais. Je déglutis de malaise, j’ai trop d’orgueil, trop d’amour pour le laisser périr dans son silence mortuaire. Ça ne changera rien, je sais. Pourtant, j’articule doucement ma question, avec une maturité que je n’ai normalement pas.


    ELSA – « Le destin, tu y crois toi? »

Mes doigts triturent une petite branche qui craque sous mon emprise tremblante. Je chasse mes cheveux derrière mon oreille, soupire nerveusement. C’est si pénible de le voir comme ça, ça me noue les tripes, ça m’enlève cette joie contagieuse que j’arbore toujours. Cette joie de vivre, que Basile n’a plus.
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Message(#) Sujet: Re: « play crack the sky » (BAZ&ELSA) « play crack the sky » (BAZ&ELSA) EmptyDim 5 Jan - 20:50

warm, cold

Ça a un drôle de goût, la mort, c'est amer, plus que la mer, un peu comme une rupture amoureuse. Basile, il s'habitue lentement à cet arôme qui lui pourrit la bouche, il crache dans les trottoirs, mais c'est pas un goût qui est du genre à partir, ce goût de mort. La mort, elle te colle aux basques, elle s'attache aux gens, surtout à ceux qui veulent pas d'elle.
Soupir numéro un.
(De l'heure.)
Été. Il est arrivé sans prévenir, on se l'est pris en pleine tête. Le Basile, ça lui fait encore plus drôle. Hiver, printemps, été. Ça fait deux saisons maintenant - six mois - vingt-quatre semaines - des milliers de minutes esseulées.
Soupir numéro deux.
L'hiver dernier, la vie a forcé Wallis à le quitter. Rupture brutale. Cause : la mort. Elle a arraché Wallis aux bras de la vie, à ceux de Basile. Sans prévenir. C'est comme la pluie, ça t'alerte pas. Ça vient, c'est tout, ça tombe, c'est fourbe à souhait.
Dégueulasse.
Soupir numéro trois.
Ou 48720.
- Tu penses que tu vas re-sourire un jour?
Oh putain, il sursaute. Il a peur de tout, Basile. Surtout de la vie : elle te fait croire qu'elle est contente que tu sois là, les deux chaussures sur terre, avec ton amoureuse, ta sœur, tes cours. Et puis soudain elle te prend tout, sans qu'elle même y comprenne quelque chose - elle se laisse faire par les forces plus puissantes qu'elle, elle est faible, la vie. Elle se décroche facilement des gens, comme de la tapisserie mal collée.
Allez, encore un petit soupir.
Sou-pir.
Sou-rire.
Il réfléchit au mot, SOURIRE, ça lui fait mal à la tête d'y penser, il le comprend même plus vraiment, sourire, sourire, ça résonne avec un autre mot, BONHEUR, celui-là non plus il l'assimile plus trop. Sourire, il essaie pourtant mais il arrive même plus à le dire, alors le faire, oh, çà.
Une tête se cogne volontairement à son épaule, osseuse et malheureuse, s'en fait un oreiller. Ça pourrait être Wallis, ce n'est qu'Elsa. Soupir encore. Pauvre Elsa mise de côté, parce que n'étant pas Wallis, tout justement. Blonde, mais pas Wallis. Belle, mais pas Wallis. Lumineuse, mais pas Wallis.
Pas-Wallis.
Le prénom cogne dans sa tête, tourne en rond, ça rime à rien, ça rime avec rien, tout ça, mais il peut plus le sortir de sa tête, depuis ces six mois, c'est comme une ritournelle coincée dans sa tête, un vinyle rayé, ça tourne en boucle. Il faut que Basile écoute une autre chanson, ou arrête le vinyle, mais Basile, il est trop prostré pour tout ça.
- Le destin, tu y crois toi?
Il prend un instant la peine de s'énerver contre le destin. Le destin qui a pris la décision d'amputer la vie de Wallis, qui s'est dit, celle-là, elle passera pas les vingt-ans, c'est sa fatalité, sa route s'arrête là, à dix-huit ans, bam, on coupe le fil, on la fait mourir celle-là.
Le destin, pff. Le destin, il le soupire. Il lui crache dessus, et pourvu qu'il se noie.
Au dessus d'eux, le soleil s'endort. Il le maudit le soleil, il préfère les nuits, là il n'est plus le seul à être sombre; il préfère les pluies, là il n'est plus le seul à pleurer.
Il s'étire - ça lui fait mal partout, mais surtout au cœur, le pauvre vieux est tout ankylosé, s'assèche de ne plus être aimé.
Pourtant Basile sent à ses côtés la sœur, l'Esla, ange excité tout disposé à lui donner amour et tendresse. Boule de vie.
Il se souvient d'avant, quand tout le monde était vivant. Quand il aimait tellement fort Wallis et Elsa que parfois il se réveillait le matin, débordant d'amour, le cœur trop plein d'affection. Maintenant, Elsa, il sait plus comment faire pour lui donner quoi que ce soit, même lui passer le pain devient compliqué. Et Wallis, là où elle est perchée, cachée, elle est difficile à aimer, inaccessible. Soupir, à nouveau, à faire s'envoler tout un peloton d'oiseaux.
- Tùsig^t ...
Il tousse, expédie hors de sa gorge le chat qui y était coincé.
C'est ça de pas parler assez, de se vautrer dans les mauvais sentiments, ça rouille, ça s'abîme, la voix, elle s'éteint, et les mots, ils sont plus difficiles à trouver.
- Tu parles de Jacob et toi ? Pour le destin ?
Oh, notez l'effort magnifique.
Effort de conversation.
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Message(#) Sujet: Re: « play crack the sky » (BAZ&ELSA) « play crack the sky » (BAZ&ELSA) EmptyDim 5 Jan - 22:05

    BASILE – « Tu parles de Jacob et toi? Pour le destin? »
    ELSA – « Non.. Je, j’parle de tout. De ce qu’on fait, de ce qu’on dit, des gens qu’on croise… »

D’une petite troupe de gens pré-programmés qui tournent en rond, sans s’en rendre compte. Je jette la branche que je désarticulais maladroitement, posant mes mains contre le sol chaud. Bien sûr, y’a Jacob dans l’équation. Mais y’a Baz’ aussi. Et ceux que je n’ai pas rencontrés encore. Ceux que je ne rencontrerai jamais. Je déteste philosopher sur la vie. Je déteste l’absence de réponse, l’incertitude qui hurle en moi. Je voudrais tout savoir, pour le sauver lui, nous sauver nous. Je lève les yeux au ciel, serrant la mâchoire à en ressentir une douleur sourde, rassurante. Je sais que Basile préfère le silence, le confort des mots absents. Mais ça fait des mois, que rien ne se dit, que tout se détruit. Alors je parle, pour parler. Puisque je ne suis bonne qu’à ça, du haut de mes onze années d’existence faciles. Trop faciles; pour comprendre, pour réagir. S’te-plaît Baz’, montre-moi le mode d’emploi pour réparer les dégâts…

    ELSA – « Tu sais, avant, j’croyais que c’était tout décidé. Que même lorsqu’on hésitait, qu’on changeait de décision à la dernière minute, c’était prévu. Inévitable. »

J’ai un petit rire niais, un souffle de désarroi qui meuble le vide laissé par ma théorie ridicule. Mes doigts se referment contre la terre rugueuse, découvrant une fraîcheur sous la surface. Inévitable. Comme la mort de Wallis. Comme la peine de Basile. Comme mon propre égarement. Je rajoute une couche à mes délires. Comme si je me tenais la conversation à moi-même.

    ELSA – « C’est plus facile comme ça. On n’est pas vraiment responsable de rien, c’était planifié pour nous… Mais c’est pas, j’sais pas, marrant… »

Le mot est mal choisi. Et alors? J’arrive pas à mettre en mot ce qui me torpille les entrailles. Je glisse mes deux mains contre mes cuisses, chassant la poussière du sol qui s’était incrustée jusque sous mes ongles. Inutile, je suis inutile. J’arrache une énième branche qui nous surplombe. Je laisse le bout glisser furtivement contre le bras de Basile, comme une va et vient qui se veut rassurant. Je suis hyperactive, incapable de rester figée, incapable de supporter le silence qui se gonfle d’inconfort. Tout est lourd, l’air pèse contre mes épaules. Je baisse les yeux sur ce bras, sans vie. À peine teinté par le soleil, probablement protégé par un écran solaire invisible. Mon murmure est la dernière phrase que j’articule. Comme un dernier souffle. Une réplique de gamine, faite par une gamine, pour une âme aussi vieille que celle de ce grand frère qui a déjà répondu au terme « papa ».

    ELSA – « C’est beau, tu sais, de se dire que toi et Wallis, vous étiez destinés à vous rencontrer. »

Mais je me tais. Je sais que la suite est laide, affreuse. Que le destin amène, mais reprend. Donne, mais vole. Le mouvement de ma main se fige, un frisson me parcoure l’échine. Cette fois, j’accepte le silence. Parce que rien de ce que je peux dire n’arrangera tout ce que j’ai déjà dit. Une voix retentit, glisse sur chaque hectare et se bute sur la colline qui fait office de muraille. « Basile, Elsa, le souper est prêt. » Rien à foutre, j’ai pas faim. Nos noms se répètent à quelques reprises, ma main se nouant contre le poignet de Basile. J’hoche la tête de gauche à droite, silencieusement. Fuck m’man. Je préfère le jeun avec Baz’, plutôt que le festin avec elle. On rentrera plus tard, on subira ses reproches aîgus, son index pointé vers la salle de bain. Parce que je ne serai bonne que pour un bain, pas de repas. Je fixerai le plafond, l’esprit éveillé et j’irai voler à manger une fois la maisonnée endormie. Pour moi et mon estomac qui hurlera. Pour moi et Basile. Pour Basile et moi. Au pied de son lit, un morceau de pain entre les dents, à fixer la nuit.
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Message(#) Sujet: Re: « play crack the sky » (BAZ&ELSA) « play crack the sky » (BAZ&ELSA) EmptyDim 19 Jan - 21:17

Elsa elle, elle saute sur les mots de Basile. À peine son -tin envolé par le vent qu'elle enchaîne, elle a les mots faciles, Elsa, pour sa dizaine d'années enfilées.
- Non.. Je, j’parle de tout. De ce qu’on fait, de ce qu’on dit, des gens qu’on croise…
Des gens qu'on croise, qu'on aime, qui nous aiment, et puis ... qui s'en vont. Comme tout s'en va, ils s'en vont eux aussi. Ils partent, ailleurs, pour de vrai - dans un autre pays, un plus joli monde - ou presque pour de faux - ils meurent.
- Tu sais, avant, j’croyais que c’était tout décidé. Que même lorsqu’on hésitait, qu’on changeait de décision à la dernière minute, c’était prévu. Inévitable.
Elsa, onze ans et l'intelligence au bout des mots, déjà.
La réflexion, le questionnement, les raisonnements philosophiques.

Oui, moi aussi j'croyais que tout était décidé à l'avance.
Même : je savais déjà de quelle couleur seraient les fleurs sur la voiture de notre mariage.
(Violettes)

Il se tait.
C'est trop dur de parler.
Et puis il y a Elsa qui parle, elle.
- C’est plus facile comme ça. On n’est pas vraiment responsable de rien, c’était planifié pour nous… Mais c’est pas, j’sais pas, marrant…
Marrant, c'est quoi ? C'est comme le bonheur. Et les sourires : disparu. Marrant, c'est disparu, les rires, sont partis, ceux du passé résonnent encore dans les tympans de Basile - les fous rires avec Elsa - les rires nerveux-amoureux avec Wallis. Mais on n'entend pas ceux du futur. Même si on tend l'oreille.
Marrant, c'est comme Wallis, ça n'existe plus.
- C’est beau, tu sais, de se dire que toi et Wallis, vous étiez destinés à vous rencontrer.
Toi et Wallis. Moi et Wallis. Wallis et moi. L'évidence, le déchu, le mort. Le passé. Le bonheur enterré dans une boîte en bois, à ses côtés.

Et puis, non, il se dit. Non je n'irai pas vous rejoindre à table, toi monsieur télé et toi madame sècheresse. La main de sa petite sœur, sa petite lui, elle dit non elle aussi, sur son poignet.
Non, il se dit, surtout, pour Wallis. Non, c'est pas beau d'imaginer ça : Dieu, avec tous ses petits morceaux de puzzle-humains, attachant la pièce-Wallis et la pièce-Basile et prévoyant de les séparer à nouveau deux ans plus tard. Non, c'est pas beau, pire : ça aurait jamais dû arriver, Wallis et Basile. Lui, là-haut, au milieu des nuages, il aurait mieux fait de laisser le puzzle se faire tout seul - ça arrive - ça t'arrivera, Basile, avec Bleu, ta Bleu.
Un ange passe, on dirait Wallis.
Putain, il en ... sourit ?
Ah, non, mais au moins son cœur se dénoue.
- T'as-t'as raison. Il faut pas se dire que c'est triste qu'elle soit - plus là. Juste être heureux de l'avoir connue. D'avoir marché à côté d'elle ... Et d'avoir fait d'autres choses aussi.
Regard en biais, en bas, vers Elsa, avec sa gueule d'enfant-adulte.
- Non ?
Dis oui Elsa.
Enlève-lui un peu de ses regrets.
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