~ À QUOI RESSEMBLAIT TA VIE AU LYCÉE?
Ah, le lycée. C'était sans aucun doute la meilleure période de ma vie. Tout était si simple, dans un sens. Ca n'a pas duré bien longtemps, et c'est bien dommage. Je n'avais pas vraiment de problème à ce moment-là, mes parents ne cherchaient pas encore à diriger totalement ma vie, en tout cas, pas au début, ma soeur était encore là, j'avais un tas d'amis et j'ai rencontré Posy. En somme, tout était parfait au lycée. J'aurais préféré y rester toute ma vie, dans cet état d'esprit, libre de rêver à volonté, sûr de moi, ce type qui aimait tant faire la fête, pourtant pas cancre. C'était la belle vie, et ça a disparu, pour toujours.

   ~ ES-TU HEUREUX PRÉSENTEMENT?
Heureux ? Si heureux signifie regretter à jamais des erreurs du passé, ne réussir à rien, s'anéantir entièrement, alors oui, je suis heureux. Non, plus sérieusement. Contrairement à ce que je pensais, ce n'est pas parce que je ne suis plus au lycée que je suis libre, au contraire. Je suis pris au piège par mes parents, j'ai l'impression de n'être rien, de n'arriver à rien et en plus de ça, je n'ai plus Posy. Certes, il y a quelques joies lorsqu'une toile est vendue, mais comme je ne la partage pas, cette joie, elle est vite réprimée. Alors non, je ne suis absolument pas heureux.

   ~ OÙ TE VOIS-TU DANS DIX ANS?
Dans dix ans... C'est loin, trop loin pour envisager quelque chose. Mais s'il le fallait vraiment, je voudrais de tout mon coeur réussir à percer dans le milieu de la peinture, être enfin reconnu comme peintre, et non pas comme avocat, comme mes parents adoreraient. J'aimerais que Posy me pardonne enfin, qu'elle réponde à mes milliers de messages, à mes appels et qu'on puisse repartir sur de meilleures bases. Mais on sait tous que le futur n'est pas toujours ce que l'on souhaite, pas vrai ? Alors à quoi bon espérer quelque chose pour dix ans plus tard ?

Quand la passion prend vie.

Gabin avait à peine dix ans lorsqu'il découvrit sa passion, celle qui le poursuivra toute sa vie, sa malédiction. Sa sœur, âgée de six ans de plus que lui, l'emmena voir une exposition des toiles de Turner, ce peintre britannique, le peintre de la lumière. Pourquoi l'amener ici, alors qu'elle-même n'était pas très portée sur l'art ? La réponse était simple : Gabin avait besoin d'être calmé, lui qui venait à peine de frapper violemment dans un mur après avoir hurlé sa rage d'un seul coup. Il se sentait enfermé chez lui, c'était les vacances, et il ne pouvait pas sortir. Il détestait rester à la maison pendant des jours comme ça, alors il craquait, et dans ces moments-là, il fallait s'accrocher pour le calmer. Sa sœur était en réalité la seule à y arriver. Elle savait toujours quoi faire pour l'apaiser, pour que la colère s'évanouisse. Ce jour-là, elle l'emmena donc voir cette exposition. Il râlait déjà à l'idée de passer encore du temps enfermé dans une pièce à « regarder des tableaux stupides », mais pourtant, il la suivit, content de quitter la maison. Cette exposition changea sa vie. A peine arrivé il s'approcha d'une toile et resta coi devant celle-ci durant de longues minutes. Il n'avait plus rien à dire, il admirait simplement la beauté de la toile, qui le bouleversait d'une manière tellement indescriptible. Il avait presque l'envie de pleurer. Envie qu'il réprima tout de suite évidemment, par fierté. Sa sœur vint le chercher devant cette peinture si particulière pour lui faire découvrir les autres et devant chacune d'entre elles, il fut bouleversé. Quelque chose naquit ce jour-là, qui ne le quitta jamais plus. Grâce à Turner, il avait trouvé sa voie. Suite à cette exposition, il suivit des cours de peinture, d'aquarelle, rêvant d'être un jour capable de faire d'aussi magnifiques toiles. Il découvrit vite que son nom était aussi celui d'un grand peintre, ce qui le conforta un peu plus dans son rêve. Pour le petit colérique qu'il était, la peinture était un gage d'apaisement. Sa sœur l'encourageait dans cette voie, bien que ses parents étaient un peu moins enthousiastes à l'idée que leur fils puisse poursuivre ce rêve un peu fou. Gabin était fou, il l'a toujours un peu été, mais à ce moment-là, ça ne posait pas vraiment de problème. Il a continué à évoluer, nourrissant chaque jour un peu plus sa passion. Plus tard, il serait un peintre reconnu, il le savait, il l'espérait, il ferait tout pour réussir, pour se faire un nom. Il y aurait un autre Landon à afficher au tableau des artistes ! Il en était tellement convaincu que lorsqu'il en parlait, on aurait pu dire qu'il était bien trop sûr de lui. La peinture l'appelait, il était alors impossible que ça ne fonctionne pas. Il était loin de se douter de ce qu'il arriverait plus tard.

J'ai croisé tes yeux et ça m'a suffit.

Il était à présent au lycée. Sa passion grandissait toujours plus, elle faisait partie de sa vie, il se perfectionnait dans son art. Turner était devenu son modèle, son idole, celui sur qui tout son rêve était basé. Depuis peu, la sœur de Gabin était enceinte, à vingt-et-un ans. C'était un accident bien sûr, sauf qu'elle a réagi d'une façon qui n'a pas plu à leurs parents. Elle a abandonné ses études, pourtant prometteuses, pour élever son enfant seule, puisque son petit-ami avait fui. Dès lors, elle fut reniée. Leurs parents ne voulaient plus d'elle ici, ni de son « bâtard » comme ils l'appelaient vulgairement. Elle quitta donc la ville, le pays, abandonnant son petit frère à un destin bien morne. A partir de ce moment précis, la vie de Gabin changea. Ses parents devenaient plus rigides, ils ne le laissaient plus prendre de cours de peinture, et ce n'était même pas la peine d'envisager un autre avenir que celui auquel ils l'avaient préparé. C'était bien le pire pour Gabin.
Et pourtant, le lycée reste parmi ses meilleurs souvenirs, puisque c'est à cette période qu'il a rencontré Posy. Il l'avait déjà vu plusieurs fois, brièvement seulement, puisqu'elle était la sœur de son ami Tedy. Elle était différente de lui, totalement différente. Tedy était le genre très sociable, avec une bande d'amis incroyable, si bien qu'il était absolument impossible de le voir seul, alors que Posy semblait d'une nature plus solitaire. Et ce jour-là, à la bibliothèque, elle était seule. Il n'avait jamais eu l'occasion de lui parler, mais il était bien intrigué par la jeune fille. Il croisa son regard et ce fut comme un tourbillon, bêtement. Il n'hésita pas bien longtemps avant de s'approcher d'elle. Elle était ravissante, il fallait bien se l'avouer. Il avait envie de la connaître, pas parce qu'elle était la sœur de son ami, mais parce que c'était elle, tout simplement. Pourtant ce jour-là, elle refusa de se joindre à lui pour déjeuner. Il n'insista pas, espérant toute fois qu'une autre occasion se présenterait, mais non. Pendant un an, il ne l'approcha plus jamais, l'espionnant en secret de temps en temps, incapable de la chasser de son esprit, sans rien dire. A côté de ça, ses parents lui forçaient de plus en plus la main, toujours plus sévères, et Gabin obéissait, non sans cogner un mur ou deux lorsqu'il était seul. Il continuait la peinture en cachette, son seul repos. Il continuait, se disant que sa soeur reviendrait peut-être s'il devenait le grand peintre qu'il aspirait tant à être. Que comme ça, elle verrait ce que son frère devenait, qu'elle viendrait lui demander pardon d'être partie, et c'était une motivation de plus pour continuer, sans arrêt, comme une drogue que personne ne comprenait vraiment. C'était comme si seule la peinture était capable de l'absorber assez pour le canaliser. C'était une bénédiction, et pourtant, il n'en avait pas le droit.

Quand les parents s'en mêlent...

Il était à présent en dernière année de lycée, c'était presque fini, il pourrait enfin entrer dans une école d'art et plus tard, vivre de sa passion. C'était ce qu'il croyait, jusqu'à ce que ses parents lui annoncent qu'il allait devoir suivre des études en droit, chose qui ne l'intéressait absolument pas. Il se battit quelques temps pour les faire changer d'avis mais rien n'y faisait, c'était soit il obtempérait, soit ses parents lui coupait les vivres en même temps de le renier. Il fit le choix de la facilité, celle qui ruinait ses rêves. Pourtant la peinture restait dans sa tête, il surmonterait ça, il le savait, il était sûr de lui, devenant presque arrogant à ce sujet. Il deviendrait peintre, sans nul doute. Le jour où il renonça à lutter contre ses parents fut aussi le jour où il apprit le cancer de Posy. Cela faisait déjà un moment qu'elle n'était pas revenu au lycée, Gabin s'inquiétait évidemment, même si techniquement, il n'était pas son ami, ils ne se connaissaient pas. Il appela Tedy pour savoir ce qu'elle avait et il lui raconta tout. Le choc fut difficile à encaisser. Ajouté à ça cette histoire d'études en droit et ce ne fut pas long pour qu'il pète un câble, réduisant sa chambre à l'état de néant. Sa rage passée, il décida finalement d'aller la voir. Il savait de son frère qu'elle était une grande fan de Sherlock Holmes, il se mit alors à chercher un peu partout ce fameux chapeau tellement symbolique du détective, et une fois le paquet arrivé, qu'il prit soit d'emballer, il se dirigea vers l'hôpital, sûr de lui. Ca ne pouvait que lui plaire. Elle l'accueillit assez sèchement mais il n'abandonna pas pour autant. Il n'était pas comme ça, il n'abandonnait pas si facilement. Finalement elle ouvrit le cadeau et son visage se métamorphosa. La voir sourire le rendait heureux. Il était fier de lui, et profondément content d'être venu. Ce chapeau devint presque un symbole pour lui, puisque ce fut à ce moment-là que tout commença réellement, qu'ils commencèrent à sortir ensemble. Et temps qu'elle était là, il était confiant. C'était ce qu'il pensait à cette époque, alors que les problèmes s'approchaient à grands pas.

Je croyais que tout irait mieux temps que tu serais là.

Après ce jour, ils ne se sont pas quittés. Ils ont même décidé d'emménager dans un appartement tous les deux. Il faisait ses études en droit, à grand regret, mais trop attaché à ses parents pour dire non. Il n'avait pas envie de ne plus jamais les revoir comme c'était arrivé avec sa sœur. Soeur qu'il n'a d'ailleurs jamais revu. Plusieurs années filèrent aux côtés de Posy, c'était beau, ils étaient parfaits tous les deux et ça aurait pu continuer encore bien longtemps si tout ne s'était pas cassé la figure au même moment. Les années passaient, le droit ennuyait toujours autant Gabin. Il n'y arrivait plus, il n'arrivait plus à suivre, et ça faisait maintenant deux ans qu'il échouait la même année. Ce n'était pas fait pour lui, il s'en foutait du droit, il voulait peindre, point. Mais ses parents ne voulaient rien entendre. Il s'accrochait alors du mieux qu'il pouvait, tentant de ne pas abandonner. Pourtant, les mauvais résultats s'enchaînant, sa confiance en prit un coup. Il était autrefois si sûr de lui, et à présent, tout avait disparu. Il avait peur pour le futur. Il n'arrivait pas à vendre ses toiles, les études ne fonctionnaient pas, il n'arrivait plus à rien. Mais il avait Posy. Grâce à elle, il ne se laissait pas abattre. Il continuait à chercher des acheteurs pour ses peintures et à tenter de gérer ses études de l'autre. Quelque chose de plutôt impossible, en somme. Il lui arrivait régulièrement de péter un câble, de passer bien trop prêt de la dépression, puis ça revenait, il faisait de nouveau face, et ainsi de suite. Il n'était tout simplement pas stable, et cette situation le rendait bien plus fou qu'on aurait pu l'imaginer. Un soir, il rentrait d'un dîner d'affaire -si on pouvait l'appeler ainsi- qui semblait bien parti. Il était cette fois persuadé que ça allait marcher, il l'espérait si fort que même Posy s'y mettait elle aussi. Elle l'avait attendu bien longtemps, et il aurait dû se douter que ça cachait quelque chose. Pourtant ce soir-là, ils partirent se coucher, lui plutôt confiant, espérant désespérément un contrat pour vendre ses toiles et sortir de cet enfer qu'étaient ses études.
Ce fut plusieurs semaines plus tard qu'il eût la réponse. Il reçut un coup de téléphone de celui qu'il avait rencontré, celui qui avait dit apprécier ses toiles. Il était assez enthousiaste en voyant le numéro s'afficher sur l'écran de son téléphone. Il attendait son Messie, et pensait l'avoir enfin trouvé. Pourtant ça ne se passa absolument pas comme prévu. « Bonjour monsieur Landon, je vous appelle pour vous parler de vos peintures. Je suis navré, mais nous ne pouvons pas investir dans vos créations. Vous avez du potentiel, mais vous devez encore faire vos preuves. » Le choc fut rude. Il ne prit même pas le temps d'en écouter le plus, il raccrocha immédiatement. Une infime larme coula sur sa joue, unique, et il dût faire un effort surhumain pour ne pas craquer au milieu de cette rue bondée. Il serra les poings rageusement en rentrant chez lui, sans se douter qu'une autre mauvaise nouvelle l'attendait. Posy était là, elle l'attendait, elle voulait lui parler. Il se mit immédiatement à flipper. Elle voulait le quitter ? Il était arrivé quelque chose de grave ? Ils s'assirent sur le canapé et elle commença. « Je suis enceinte. » Au début, Gabin n'en crût pas un mot et se mit à rire naïvement. Mais lorsqu'il se rendit compte du sérieux de la scène, les pensées s'enchaînèrent. « Il manquait plus que ça. » C'était ce qu'il pensait, tout le long de leur dispute. Il ne pouvait pas gérer un gosse. Pas assez d'argent, rêve piétiné, études en cours, et sa sœur... Tant de choses qui rendaient cette situation totalement impossible. Il n'était pas prêt, il ne pouvait pas, c'était fou. Il avait perdu confiance, complètement. Tout était fini, tout était foutu, il le sentait, et c'était reparti pour de longues semaines de déprime intense. Cependant, cette fois, cette histoire de bébé venait en rajouter une couche. En cet instant, il n'avait qu'une envie : se donner la mort. Chose qu'il lui arrivait relativement souvent de penser ses derniers temps mais qu'il n'exécutait jamais, sans doute trop lâche pour ça, ou plein d'espoir, en grand naïf. Après cette dispute, leur couple prit fin de la plus atroce des façons.

Et c'est fini... Mais je ne lâcherai rien.

Il fallut longtemps à Gabin pour remonter la pente. La peinture fut encore et toujours d'un grand secours dans cette situation. Posy lui manquait, c'était évident, et chaque jour, il se demandait ce qu'elle faisait, si elle avait gardé ce bébé ou non. Il regrettait sa stupide réaction, il regrettait tellement, mais il ne faisait rien pour arranger les choses. Pas au début en tout cas. Ses études lui prenaient toujours la tête, il allait sans doute échouer cette année encore... Il ne vendait aucune toile, l'argent manquait toujours. Il fut finalement obligé de quitter l'appartement qu'il occupait avec Posy pour en louer un plus petit, moins cher. Et un jour, la chance lui sourit enfin. Depuis quelques temps, il travaillait d’arrache-pied pour obtenir un contrat et vendre ses tableaux, sans jamais avoir une réponse positive, puis finalement, un galeriste qu'il n'avait même pas contacté, mais qui avait entendu parler de lui, lui demanda de lui montrer son travail. Ils prirent rapidement rendez-vous et le verdict tomba, le galeriste n'hésita pas à acheter ses toiles. Ce fut le soulagement pour Gabin, qui n'avait plus que la peinture dans sa vie à présent. Tout allait pouvoir s'arranger. Pendant encore quelques temps il tenta d'oublier Posy, de vivre sa vie, pour passer à autre chose, mais il ne put s'y résoudre. Il voulait la revoir, avoir de ses nouvelles, d'elle, et du bébé qu'il avait rejeté, savoir au moins ce qui était arrivé. Il commença alors à lui envoyer des sms, d'abord peu, plus de plus en plus. Un au lever, un au déjeuner, un avant d'aller dormir, puis un toutes les trois heures, pour finir à un toutes les heures, en plus des nombreux coups de téléphone. Il pensait qu'elle lui répondrait, mais non, jamais rien, pas un signe de sa part, si bien que parfois, il la croyait morte. 'Posy, pardonne-moi','Reviens','Réponds-moi bon sang !','Où es-tu ? Tu me manques.','Je veux t'aider à l'élever ce gosse.','J'ai vendu des toiles, viens les voir ! Viens me voir.', un nombre incalculable de messages qui lui demandait d'une façon ou d'une autre de revenir, ces messages qui restaient sans réponse, ça le tuait. Il était seul le soir, quand les regrets, la culpabilité, la tristesse, le désespoir le touchaient. Il aurait pu faire n'importe quoi, il aurait bien pu en finir, comme il l'avait dit tant de fois, mais tout ce qu'il faisait, c'était boire, parfois beaucoup trop, et frapper dans tout ce qui lui passait dans la main, parfois lui-même. Il était rendu dingue. Le Gabin d'autrefois avait vraisemblablement cessé d'exister. Maintenant, il harcelait son ex de messages dans le but qu'elle revienne, incapable de lâcher l'affaire, sans se soucier des conséquences. Après tout qu'importait qu'elle porte plainte, au moins il la verrait pas vrai ? Tout ce qui allait bien dans sa vie -pour une fois- c'était la peinture. A croire qu'il ne pourrait jamais avoir tout d'un seul coup.