~ À QUOI RESSEMBLAIT TA VIE AU LYCÉE?
Ca n'date pas d'il y a si longtemps et pourtant, pour moi, c'est comme si la période du lycée était il y a des années lumières d'aujourd'hui. C'est le jour et la nuit et même si le lycée était tranquille, ce n'est pas forcément pour moi la meilleure des périodes. J'étais cet adolescent lambda qui tentait juste d'se fondre dans la masse, de s'intégrer et souvent sans vraiment réussir. D'toute façon, réussir, c'était quelqu'chose qui m'passa rapid'ment par dessus la tête, ce n'est pas tant qu'les cours étaient difficiles à comprendre juste que j'avais la flemme, que j'étais crevé au bout d'un moment d'me forcer à rentrer dans un moule qui était beaucoup trop p'tit pour moi, à pénétrer dans un monde qui voulait pas d'moi. Alors les résultats scolaires ont commencé à chuter et puis d'mec invisible j'suis passé à celui qui fallait éviter comme d'la peste. La cible qu'les mecs qui se pensaient trop fournis du slip prenaient en ligne d'mire juste pour se rassurer. Je les rassurais à coups de torgnoles dans le sens du poil. Le lycée, c'est ce qui signa l'début d'la fin, la dégringolade. J'ne saurais dire si j'en garde un bon souvenir ou si j'suis ravi que ce soit terminé, tout ce que j'sais c'est que tout est parti d'cette période et que les choses n'ont plus été comme avant depuis. Le lycée, c'était le début d'une vie en reconstruction avant de finir finalement en vie de perdition.

   ~ ES-TU HEUREUX PRÉSENTEMENT?
Heureux ? Pour être heureux, faut être capable d'le ressentir et moi je n'ressens rien. Rien de chez rien. Le néant. Le vide. J'suis incapable d'ressentir la douleur ni même l'bonheur j'crois, parce qu'il m'semble que ça va d'pair non ? C'comme la chaleur, t'peux pas vraiment l'apprécier si t'as pas crevé d'froid le moment d'avant. J'ne suis p'être pas l'plus heureux sur terre, certes, certes mais j'me complais dans l'état bordélique d'ma vie. Ai-je l'choix d'toute façon ? A force, on s'habitue, on s'enterre dans l'quotidien, on s'enterre vivant et on finit cadavre ambulant

   ~ OÙ TE VOIS-TU DANS DIX ANS?
Cette question est simple en soi, des mots collés bout à bout et pourtant, elle m'paraît difficile. J'ai toujours eu un problème pour m'projeter dans l'avenir quand mes origines n'sont que des tâches d'ombre comme des éraflures sur l'feuille d'brouillon que j'suis. Dans dix ans, c'loin, trop loin. J'serais p'être encore ici à moisir en tentant d'trouver une zone d'lumière sur l'ombre que j'suis, j'serais p'être ailleurs ou j'serais p'être six pieds sous terre à flirter avec des vers. Chose est certaine, j'serais encore seul parce que c'qui a toujours été écrit pour moi d'puis ma naissance et puis parce que c'est que j'souhaite. Les gens m'épuisent, les gens sont cons, parce que l'autre est mon ennemi.

PRÉNOM ET/OU PSEUDO: Chron!k. ÂGE: lalalala. PAYS: là où des licornes naissent. PRÉSENCE: 4/7j. COMMENT AVEZ-VOUS CONNU LE FORUM? Par FB.  PERSONNAGE INVENTÉ OU SCÉNARIO? Scénario. AUTRE CHOSE À AJOUTER? NON vous ne voyez pas double .

I. LET ME CLIP YOUR DIRTY WINGS

« P'tit dej ! » Le bol racle la table alors que des gouttelettes de lait s'crashent autour du bol. Les céréales bon marché crépitent dans le bol comme si elles hurlaient d'se noyer dans ce lait qui a dû tourné vu son odeur. « Merci ... papa » Le poing part s'éclater contre les tâches blanches du lait qui s'mêlent à celles d'la crasse déjà ancrée sur la vieille nappe d'la table. « J'suis pas ton père, Isaac ! Fous-toi enfin ça dans ton p'tit crâne d'attardé ! C'pas parce que tu vis avec moi que j'suis ton père ou que t'es mon fils. T'es l'fils de personne, okay ? Tes parents ont pas voulu d'toi et t'ont largué dans une poubelle ! T'es rien d'autre qu'un déchet ramassé dans une benne à merde. Répètes ! » J'fixe le bol fêlé et serre la p'tite cuillère dans ma main. « Je suis rien d'autre qu'un déchet ramassé dans une benne à ordure » Blake soupire et balance sa grosse main à l'arrière d'mon crâne de gosse de 8 piges. « Bien ! Retiens ça dans ta p'tite  tête sinon j'te la défonce contre un mur et bouffe tes céréales en silence » J'enfonce la cuillerée dans ma bouche sans sourciller sous l'goût de lait en putréfaction. Après tout, d'la bouffe avariée pour nourrir un déchet, ce n'est qu'une logique des choses pas vrai ? Blake se lève d'table, ma présence l'importunant comme toujours et va s'échouer sur le canapé qui tient encore miraculeusement sur ces pieds. « Tu nettoies derrière toi et tu dégage à l'école, j'en ai marre d'voir ta gueule d'handicapé » « Ok, Blake » Une fois encore, ma vaine tentative pour recevoir des miettes de chaleur humaine tombe à l'eau. J'avale l'immondice alimentaire et disparaît de l'appartement moisi. J'ai souvent pensé à n'jamais revenir après la fin des cours, à rentrer ailleurs, p'être squatter dans une autre famille histoire d'avoir c'que j'voyais dans la télévision : un papa, une maman et de l'attention. Mais je n'l'ai jamais fait parce que je n'avais pas d'autre choix, parce que c'tout ce que j'avais et qu'il fallait bien faire avec.


II. CONSPIRACY OF SILENCE

Blake resserre mon noeud de cravate, un peu trop fort même. J'suis certain qu'il a envie de m'étrangler mais que quelqu'un chose l'en empêche. « On va voir l'patron alors tu te tiens à carreau, pigé ? » « Pigé » Enfin prêt, on s'arrache pour prendre la vieille bagnole qui couine à chaque dos d'âne et on migre vers un entrepôt. La réunion d'famille comme Blake le dit si bien mais j'ai jamais eu l'impression que c'en était une ou alors, si, ouais, si on considère qu'ma famille c'est un groupe d'alcoolo à la facade tellement ravalée qu'ils pourraient faire un film d'horreur. « Descends, j'vais garer la bagnole et va pas t'attirer des situations d'merde, sinon … » Il lève son poing et n'a même pas b'soin d'finir sa phrase que j'saisis la menace en plein vol. Blake n'a jamais b'soin de finir ses phrases, il les ponctue toujours avec ses poings d'toute façon. J'pénètre dans l'entrepôt en passant l'barrage d'hommes taille Hulk qui gardent l'entrée comme des chiens d'garde. J'me plante comme une fougère dans un coin et j'attends. C'est ce jour là que j'ai rencontré pour l'première fois, la grande dame, celle que tout l'monde appelle « Madame » avec un air pincé. Pour la première fois, j'l'avais en face de moi et j'ne savais même pas que c'était elle. J'aurais p'être dû deviner, après tout, avant ce jour, je n'avais jamais vu d'femme habillée comme elle dans les réunions, en tout cas habillée avec une telle classe, l'reste, c'était que des putes. « Bonjour … tu es Isaac, pas vrai ? » J'hoche la tête en lui jetant un regard méfiant « Tu as bien grandi depuis la dernière fois que je t'ai vu  » « Parce qu'on s'connaît ? » « Moi, je te connais. Je t'ai vu enfant » Je fais la moue, peu convaincu alors qu'elle pose sa main contre ma joue et dessine l'arrondi d'mon visage avec la paume de sa main. « Tu seras un bel homme quand tu seras grand » « M'ouais » « Je te laisse, Marwan, la réunion va commencer. J'ai une nouvelle à annoncer » Sa main m'quitte alors qu'elle tourne les talons avec sa démarche chaloupée. A c'moment précis, Blake m'saute dessus pour m'enguirlander et m'demander ce que j'ai bien pu dire à Madame. L'voir autant flipper pour l'première fois, ça m'a fait plaisir. Pour une fois, il était à ma place.

« Parmi vous, il y en a qui le savent et d'autre non. Mon mari est décédé dans la nuit d'hier soir, un arrêt cardiaque malheureux. J'ai tenu à vous l'annoncer en personne car nous sommes une grande famille à laquelle je suis désormais à la tête. Comme je viens de le dire, nous sommes une grande famille, vous êtes réglo envers moi et je veillerais sur vous. Vous me faites une crasse et je balancerai les morceaux de votre cadavre encore chaud dans le désert en apéro pour les coyotes. Je suis celle qui prend les rennes désormais. Y'a-t-il quelqu'un dans l'assemblée qui soit contre cela ou qui a quelque chose à dire ? … Parfait. Nous allons faire de grandes choses ensemble, de très grandes choses ! » Son sourire s'veut chaleureux mais moi, il m'refile la pétoche. Mon corps paralysé a formé un pacte avec le diable de par mon silence. A partir de ce jour, j'ai su qu'une famille, c'était pas quelqu'un qui vous aime, c'quelqu'un qui vous balance mort dans un trou si tu marche pas droit.

III. OPEN WOUNDS DROWNED IN KEROSENE

La voiture file et n'me rate pas, moi, la cible. Mon corps se contracte alors qu'la douleur se diffuse. J'ai l'impression d'être branché à une perfusion de douleur qui dévore chaque parcelle d'chair qu'elle trouve. Puis soudain'ment, c'le calme plat, la fin, le rien. J'plane dans du rien, dans l'noir. J'plane sans pouvoir atterrir pendant un long moment jusqu'à qu'une voix me ramène au sol. Une voix, un écho. « Marwan … Marwan » La chute est rapide et enfin mes yeux s'ouvrent. Les mots sortent d'sa bouche alors que j'sonde la pièce immaculée, j'sonde la vie qui m'retombe sur la gueule lentement. « Blake m'a appelé ... Tu as eu un accident de voiture, un chauffard ivre. L'impact a endommagé ton système nerveux te rendant insensible à la douleur mais tu es vivant, c'est le plus important. » J'suis vivant mais à quel prix ? J'suis fêlé, même plus capable d'être recyclé. J'suis juste un déchet fini qui n'fonctionne plus normal'ment. La rage m'fait attraper une paire d'ciseau que j'enfonce dans ma cuisse. Rien, rien. Quedalle. J'ne ressens rien, même pas une p'tite once d'douleur, rien. C'est l'néant. L'sang pisse, tâche, dégueulasse tout mais plus rien, pas l'moindre p'tite sensation. Je suis un cadavre sur deux jambes « Marwan, arrête ça ! Tu vas te faire plus de mal encore. Arrête » Il n'y a plus de loi, ni de règle, les déchets n'en ont pas. La cisaille quitte ma cuisse d'un coup sec, toujours rien alors elle vient s'pointer sur sa gorge. Madame, j'ai pas peur. Madame, t'me donne pas d'ordres. Madame, fous-moi l'paix. Madame, j't'emmerde ! Madame, tagueule ! Nos regards s'croisent, s'agrippent, s'brutalisent dans l'silence. On se défie comme des loups prêts à sortir nos crocs même si les miens sont encore de lait et n'ont pas encore mordu d'chair sanguinolente « Rétablis-toi et tu quitte Blake. Tu viens avec moi »

J'ai rapid'ment appris qu'les bancs d'la rue restent l'meilleure des écoles et que balafrer des gens devient une leçon d'vie. Pour vivre, il faut bouffer l'autre. Madame m'a tout appris ou presque, l'reste, elle a laissé les coups m'apprendre la dure loi d'monde d'la nuit, l'monde d'ceux qui grouillent sous les lampadaires, les mains ensanglantées. Elle m'a appris à faire plier l'genou aux autres, à arracher l'vie aux autres, à servir comme l'bon p'tit soldat que j'suis devenu et dont on s'ne méfie pas aux premières apparences. Madame m'a façonné et est d'venue mon pygmalion, j'étais son oeuvre éteinte qui n'ressent pas la douleur, un déchet utile. J'ai manipulé les images pour mieux détruire, pour mieux faire éclater en morceaux les choses. Les années se sont cramées au fur et à mesure que j'ai gagné en assurance mais aussi en errance morbide. J'ai trouvé dans l'feu la jouissance quand d'autres trouvent leur plaisir dans un tir bien visé. Chacun son style et puis basta. J'avais enfin creusé une place et pourtant, j'ne me sentais pas complet, j'me sentais encore étranger à ma propre vie. Toujours et encore ce sentiment qui m'rongeait et auquel je n'étais pas insensible. Ma seule douleur que j'pouvais ressentir encore et encore.

IV.  WE'RE ENCOURAGED TO FORGET ;  THEY'LL STRIP YOU FOR YOUR HERITAGE

Son corps s'repose dans les draps de soie, son corps à peine r'couvert mais que j'ne regarde plus, que j'ne regarde jamais à vrai dire. Son souffle endormi berce la pièce plongée dans les ténèbres, la nuit est venue avaler chaque parcelles d'lumière pour les étriquer d'sa noirceur. J'me glisse vers la cible d'mes désirs, d'ma curiosité exacerbée : le coffre du bureau d'madame. J'pianote l'code mémorisé plus tôt, Madame n'aurait pas dû m'faire confiance mais ça, elle l'apprendra à ses dépens. Ma main glisse sur l'dossier confidentiel, des bilans d'santé, des vaccins et l'bordel médical d'un bâtard venu au monde. J'tiens dans les mains les miettes d'une vie fichue, l'instant est tel qu'j'ai l'impression qu'le dossier flambe entre mes mains. BOOM. CRAC. Le coeur s'fige, l'esprit s'évapore. Je n'ai jamais été un Marwan. Pas plus qu'un Wynch. Isaac, c'tout ce que j'ai été, c'tout ce qui est ancré sur cette pute d'feuille de papier et qui a l'écho d'une vérité. Los Angeles n'a jamais été l'berceau d'ma vie, j'suis né plus au Nord, bien plus loin. Une pluie aigre d'un mensonge éventré m'tombe sur la gueule et j'percute que la vérité est perfide, qu'la vérité se cache ailleurs. J'attrape les liasses d'billets qui dorment dans l'coffre et je m'arrache d'cette chambre, emportant avec moi la mémoire d'un début d'vie. J'disparais pour revenir au début, le début de la fin sûrement : White Oak Station.

Des relents d'vengeance m'irritent l'gorge, des instincts sombres m'démangent l'esprit. J'deviens un trou noir. A chaque ruelles, j'me demande si c'est là qu'on m'a balancé comme un canapé éventré dont on n'veut plus, à chaque poubelle, j'me demande si ça a été mon berceau. A chaque couple d'vieux moisis, j'me demande si ce sont les coupables. J'perds rapid'ment la tête, j'perds pied. R'venir ici réveille d'vieilles questions qui ont si souvent soulevé une douleur silencieuse. White Oak Station souffle sur la poussière morte, m'laissant décapé, l'peau à vif. La douleur ne s'loge plus que dans l'esprit, dans l'âme qui s'écorche à chaque fois, qui s'fêle pour finir tombeau, l'mien d'tombeau. Au fond, Douleur n'est qu'un mot, des lettres dont j'ai perdu l'sens, Douleur et tous ces p'tits copains. J'suis Néant. Néant qui est d'retour au commencement d'tout.