~ À QUOI RESSEMBLAIT TA VIE AU LYCÉE?
Cette époque de ma vie a été marqué par l'instabilité. Je flottais dans un entre-deux, ou plutôt j'oscillais. C'était un extrême ou l'autre, noir ou blanc, et je ne savais jamais ou poser le pied. À l'école ça allait bien, à la maison c'était tout le contraire. Je me sentais populaire, je me sentais seule. Je me trouvais jolie, je me trouvais laide. J'étais gentille, j'étais méchante. Je forçais sur le caractère, j'voulais qu'on me trouve intéressante. J'forçais sur le maquillage, j'voulais qu'on me trouve belle. J'voulais tout et j'avais l'impression de ne rien obtenir, même si j'étais bien la seule à avoir cette impression. Beaucoup voulaient être à ma place... beaucoup, mais pas moi.

   ~ ES-TU HEUREUX PRÉSENTEMENT?
Je ne suis peut-être pas la personne la plus comblée en ce bas-monde, mais je vais bien. Ma vie est tranquille, contrairement à ce qu'elle était lors de mon adolescence. Autant j'en ai bavé, j'ai maintenant l'impression qu'il ne se passe pas grand chose. En tout cas, rien de très dramatique, mais c'est parfait comme ça.

   ~ OÙ TE VOIS-TU DANS DIX ANS?
Je crois que quand on pose cette question, on ne réalise pas à quel point celle-ci est complexe. Je suis quelqu'un qui vis au jour le jour, alors me projeter dans l'avenir me demande beaucoup d'effort, ainsi qu'un petit tour en dehors de ma zone de confort. Qu'est-ce que j'en sais, au sujet de ma vie future ? J'ai le temps de changer, d'évoluer, de m'améliorer ou même de dépérir, d'ici mes trente ans. On verra bien.

PRÉNOM ET/OU PSEUDO://. ÂGE: Seveteen yo. PAYS: Sors ta carte du monde. Bien. Met ton doigt dans le milieu. Maintenant, va à gauche. Puis à droite. Encore à gauche, en haut. Plus à gauche, fais une petite translation vers le bas, change la carte de côté, monte, descends... PRÉSENCE: 6/7. COMMENT AVEZ-VOUS CONNU LE FORUM? Je m'en souviens plus.    PERSONNAGE INVENTÉ OU SCÉNARIO? Inventé. AUTRE CHOSE À AJOUTER?  .

onze ans.

I couldn't take it.
I, soon, hit ten, angry with all of the world.
I couldn't keep friends, just wishin' you'd come back and see
My difficult times being an adolescent.
And like so many just like me, without a shoulder to lean.
I needed you.

Ça commence toujours de la même manière. La porte d’entrée qui claque, faisant vibrer jusqu’aux fondations de la maison. Me faisant sursauter et m’agripper à mes draps. Puis, une pause, le temps que mon cœur reprenne son rythme normal, le temps qu’elle tâte le mur adjacent à la porte dans l’espoir de mettre la main sur l’interrupteur. Elle ne trouve pas et finit par abandonner. Elle sait qu’elle n’a aucune chance, particulièrement parce que dans l’immédiat, elle n’a aucune dextérité. Ensuite viennent les éclats. Un vase qui vient s’écraser au sol pour se briser en mille morceaux,  un corps alourdi par l’alcool qui heurte un meuble sans ménagement ; des sons que je connais par cœur et que je saurais toujours identifier. Bien que je sois toujours crispée, je ne flanche pas. Pas cette fois. Des jurons. Une ribambelle de jurons. On dirait presque qu'elle a une bible sous la main. Quand elle boit, c’est comme ça qu’elle communique. Je soupire. Pas un soupire lasse, le soupire d'une personne qui recommence à respirer après avoir fais de l'apnée quelques secondes de trop. Maintenant, des pas dans le salon, juste au-dessous de ma chambre. Ce qui signifie qu’elle a réussi à traverser la cuisine. C’est une première, je dois dire.  La plupart du temps, elle tombe. Parfois, il faut même que j'aille l'aider à se relever. Un bruit sourd. Elle a probablement omis de contourner le fauteuil à côté de l’étagère. Celui qui est juste en face de la porte, celui dont elle oublie toujours l’existence. Ou du moins, elle l’oubli seulement lorsqu’elle est ivre. Des pas dans l’escalier, des pas de plus en plus précipités ; nous en sommes rendus à la course vers la salle de bain. Elle va être malade, ce qui me confirme ce que je sais déjà : elle s’est saoulée comme si c’était sa dernière soirée en boîte. Peut-être même comme si c’était  son dernier jour sur terre, la connaissant.  Je ne veux pas entendre ça, je ne peux pas entendre ça. Alors je commence à chanter. À voix basse, puis un peu plus fort. Pas pour qu’elle l’entende, juste assez pour que moi je n’entende plus. Je commence un couplet. Puis, j’entame le refrain. Je ne connais pas le reste, mais je continue. Il n'y aura simplement pas de deuxième couplet. Après un moment, la chasse d’eau retentit. Une porte s'ouvre, elle sort et se dirige jusqu’à sa chambre. Je me tais automatiquement, parce que si elle m’entend, ça va barder. C'est le moment où  elle doit commencer à ressentir un de violent maux de tête. Si ma voix parvenait à ses oreilles, elle viendrait m’engueuler. Et dire qu’avant, elle aimait m’entendre, aussi bien parler que chanter. Elle disait même que je chantais bien. Quand elle a commencé à boire, elle s’est mise à vouloir que je me taise. Elle boit toujours, et donc je me tais. C’est à peine si je parle. Je voudrais qu’il revienne. Tout ça, c’est à cause de lui. C’est quand il est partit qu’elle s’est mise à boire. S’il revenait, elle arrêterait de boire  et alors, dans cette maison,  on parlerait.  Moi, ma mère et mon père, on parlerait. Comme avant.

⊹ ⊹ ⊹

seize ans.

Stone age love and strange sounds too
Come on baby let me get to you
Bad nights cause'n teenage blues
Get down ladies you've got nothing to lose
Hello Daddy, hello Mom
I'm your cherry bomb.

« …et là je le regarde et je lui fais genre... Zara ? Zara, youhou, tu m’écoutes ? » Non, je ne t’écoute pas, connasse. Je ne connais même pas ton nom. Dégage. Je ne formule pas ces paroles avec ma bouche, mais j’espère sincèrement que mon regard suffit à lui faire comprendre que ses histoires m’intéressent autant que le sort des vaches marines de l’Atlantique. Apparemment, mon interlocutrice a du mal à percuter, puisqu’elle continue son récit. Comme si quelqu’un l’avait invitée à le faire. Comment si elle était intéressante. La blague. «…t’es trop con, tu crois genre que je vais te laisser me…»  le reste de sa phrase disparaît dans le vide. Ils ont encore monté le volume de la stéréo et l'espèce de pop sirupeux tant apprécié des jeunes de mon âge emplit mes oreilles, fait sautiller mes tympans. C’est si bruyant, si fort que j’ai l’impression que mon cerveau bat la mesure. C’est peut-être aussi à cause de la petite pilule bleue que j’ai ingéré quelques minutes auparavant. La  fille continue de parler. Je ne vois que ses lèvres remuer et ses yeux s’écarquiller lors de ce qui semble être le moment clé de son récit, mais ça ne prend que cela pour me donner envie de la pousser brutalement ou encore la frapper. Je m’apprête à lever le bras lorsque ma meilleure amie Hailee sort de nulle part et intercepte mon geste.  Elle entoure ensuite mes épaules de ses bras – Hailee, pas l’autre déchet – et m’emmène plus loins. « Zara, tu voudrais pas être foutue dehors de ta propre fête d’anniversaire, non ? » Je fixe Hailee, je ne comprends pas trop où elle veut en venir. Mon esprit est encore embrouillé. « Eh…non?» j’articule péniblement ces quelques mots. Ma bouche est pâteuse.« Fais gaffe, t’as faillis envoyer une baffe à l’hôtesse. Ta fête ou pas, c’est chez elle alors évite de te la mettre à dos. » J’hoche la tête avec un air très sérieux, presque solennel. Hailee m’observe un moment et éclate de rire avant de déclarer : « T’es vraiment déchirée. » Je ris à mon tour, trop abrutie pour formuler une réponse claire.  Dès que notre hilarité est passé,  je tire ma meilleure amie vers la piste de danse improvisé. Celle-ci n’est vraiment pas mal, on se croirait presque dans un vrai club. On a même prit soins d’acheter des lumières à néons clignotantes qui changent de couleurs. Je ne sais pas où on peut dénicher ce genre de chose, mais j’adore. Bien que ça me donne mal à la tête et que ça me fasse sentir encore plus étourdie que je ne le suis déjà, j’aime la vision que ça me donne. Noir. Rose. Noir. Bleu. Noir. Je ne vois plus…plus que ce que je veux voir. Des têtes qui dansent, des expressions idiotes dues à l’alcool et autres substances illicites qui s’échangent depuis le début de la fête. Je ferme les yeux. Je me sens vivante, tout ayant l’impression de ne rien sentir du tout. Et je danse. J'ondule langoureusement. J'attire probablement l'attention des autres, mais qu'importe. Qu'ils me regardent. Je suis jeune, belle et libre. Je suis seule et...non. Je crois que quelqu’un danse avec moi. Il y a un corps contre le miens. Mais à  qui appartient ce corps ? J’ouvre les yeux ; ce n’est pas Hailee. Je ne sais pas si cela est dût au fait que je ne suis pas dans mon état normal, mais la présence de cet étranger là où devrait se tenir ma meilleure amie me rend nerveuse. Alors je quitte la piste. Je tremble un peu, je crois que j’ai besoins d’un autre verre. Tiens, justement, un bras sort de la brume et me tend une bière. Je l’attrape et m’enfuis sans remercier mon sauveur. À moins qu’il ne s’agisse d’une sauveuse. Peu importe. Je porte le goulot à mes lèvres. Combien en vais-je bu ?  Je n’en sais rien. Mais je continue. Regarde maman, je suis ton exemple.  À la tienne.  

⊹ ⊹ ⊹

dix-neuf ans.

But no matter what you do
You'll always feel as though you tripped and fell
So steady as she goes
When you have completed what you thought you had to do
And your blood's depleted to the point of stable glue
Then you'll get along.

« Hailee, tu m’fais quoi là ? » Je regarde celle qui est ma meilleure amie depuis tant d’années et croise les bras. « Zara, comprends-moi ! Tu déménages, bordel ! Tout va changer. » Je soupire et pause ma main sur son épaule, comme un adulte ferait a un enfant pour le calmer. Puis, je lui répond sur le même ton que j’utiliserais pour la convaincre qu’il n’y a aucun monstre sous son lit : « Hails, je change de quartier. Pas de pays ! » Elle repousse ma main et regarde la porte de mon nouvelle appartement d’un œil mauvais. « Tout va changer. » Répète-t-elle obstinément. « Je suis habituée à simplement traverser la rue lorsque j’ai besoins de te parler. Maintenant, va falloir que je conduise jusqu’ici ! » « Et alors ? T’as eu ton permis pour quoi faire ? » C’est à son tour de croiser les bras. « Hailee, arrête. Tu sais très bien que je ne peux pas continuer à vivre avec ma mère.  Pas tant qu’elle ne fera pas quelque chose pour améliorer sa situation. » Je n’ai pas besoins d’en dire d’avantage, Hailee comprend.  Et elle sait que je ne peux pas aider ma mère. Et que je ne veux pas. Trouvez-moi lâche, je n’en peux plus de la supporter.  J’ai besoins de partir, de m’éloigner. Sinon, l'adolescente que j'étais autrefois risque de resurgir et pour de bon. Pas que j'en sois rendu à avoir un comportement irréprochable, loin de là, mais je suis franchement mieux qu'avant. « D’accord. » Hailee a soudainement l’air plus conciliante. Elle s’avoue vaincue ; ce n’était pas trop tôt.  « Mais il n’est pas question que ce soit toujours moi qui vienne te rendre visite. »