Stressée. Voilà l’état dans lequel Amelia se trouvait depuis une semaine et plus l’échéance se rapprochait, plus la jeune femme avait du mal à contenir la nervosité apparente qui n’avait pas échappé à ses proches. « Tu veux bien cesser de gesticuler comme ça ? Tu me donne le tournis ! » bougonna son père, agacé de la voir faire les cent pas dans sa demeure. Et pour cause, depuis qu’elle avait franchi le seuil de la maison, Amelia ne s’était pas encore assise ! Pour passer le temps, l’institutrice s’était affairée en cuisine. Elle avait sortie de quoi faire de petits gâteaux pour le quatre heures de son fils et pour accompagner la pause café des adultes, puis elle avait nettoyé la maison du sol au plafond pendant que les deux hommes étaient plantés devant la télé à visionner un vieux match des Lakers. L’institutrice ne cessait de vérifier que tout était en ordre, absolument à la bonne place, comme si cela avait une importance vitale. « Oui, je sais ! Désolée. » minauda-t-elle. Mais cela ne dura qu’une fraction de secondes. Aussitôt que son père se détourna d’elle, Amelia retoucha le bouquet de fleurs qui ornait la table de la salle à manger. Ils avaient l’air tellement… serein à côté d’elle. Bien qu’il ait compris que son père allait leur rendre visite aujourd’hui, Sam n’avait pas l’air de saisir l’importance de la situation et pour ce qui était de son grand-père, disons qu’il n’avait jamais tenu Skyler en très haute estime. En fait, il l’avait apprécié étant môme, mais beaucoup moins lorsqu’il avait découvert que ce dernier s’introduisait chez lui par la fenêtre. Amelia avait passé tellement de temps à s’occuper les esprits qu’elle n’avait pas la moindre idée de l’heure qu’il était. Tic, tac, tic, tac. La jeune femme clôt les paupières et détourna aussitôt la tête à l’opposé de l’horloge murale en poussant un long soupir comme si la vue de cet objet lui apparaissait soudain comme répugnante. Elle avait l’impression d’avoir passé toute une vie à observer le mouvement lent et régulier des aiguilles, à entendre le bruit amplifié du mécanisme de l’horlogerie qui résonnait dans sa tête comme un compte à rebours entêtant. Ou alors était-ce le battement de son cœur ? Toujours est-il que lorsqu’elle entendit frapper, il fit un bond violent dans sa poitrine. Son père – qu’elle pensait neutre jusque là – se leva du fauteuil, presque au garde-à-vous et chercha aussitôt le regard de sa fille. « Pas de mauvaises blagues. » le prévint-elle. Il roula des yeux comme s’il était offusqué par la requête d’Amelia et stoppa la vidéo. « Viens Sammy, on terminera le plus beau match de tous les temps un peu plus tard. ». Ce fut au tour de la jeune femme de rouler des yeux avant de sourire à son fils lorsque son regard croisa le sien. « Je vais ouvrir. Attendez-moi dans la cuisine. ». Sur ce, elle tourna les talons.

Lorsque la porte s’ouvrit, elle ne fut pas surprise d’y trouver Skyler. En fait, ils n’attendaient que lui. La jeune femme esquissa alors un sourire poli mais quelque peu réservée parce que, malgré leur échange téléphonique qui s’était bien passé, elle ne savait pas encore sur quel pied danser. Il leur en faudrait, du temps, avant de retrouver un certain équilibre. « Hi, commença-t-elle, maladroitement, tu es en avance. ». Elle se décala alors pour le laisser entrer. « Come in. He’s in the kitchen. » (<- ils auraient dû l’appeler Bryan !). Amelia referma alors la porte derrière elle et prit un instant pour le détailler du regard ; il n’en menait pas large lui non plus. Finalement, c’était sûrement lui le plus stressé des deux et c’est ce qui aida la jeune femme à se tempérer quelque peu. Elle ouvrit la marche et poussa la porte de la cuisine où Sam et son grand-père était à présent attablés. « Tiens, bonjour. Je croyais qu’il passerait par la fenêtre... » répliqua son père, évitant soigneusement le regard courroucé que lui lançait sa fille. Elle ne s’y attarda pas plus longtemps, beaucoup plus intéressée par la réaction de Sam qui observait son père en silence et avec une gêne parfaitement décelable. Sans doute était-il en train de confronter ses traits aux siens, comme le faisait Skyler. Amelia s’agenouilla face à son fils, prenant ses mains dans les siennes. « Sam, it’s him. It's Skyler. Say hi to daddy. » commença-t-elle d’une voix douce. Le bambin acquiesça d'un signe de tête et ses joues pâles semblèrent retrouver un peu de couleur lorsqu’il murmura un faible : « Hi daddy » encore peu assuré.