Il progresse rageusement dans la rue, frappe dans les pavés délavés qui se détachent du sol vieilli par le temps et offre sa nuque au soleil portugais. Pesante, l'atmosphère est pesante, l'air sec. Insupportable. Mais il s'en fout, il a d'autres choses auxquelles penser. Il agrippe nerveusement les bretelles de son sac et dégage ses cheveux de d'vant son regard d'une main paresseuse. Son t-shirt trois fois trop grand pour lui, les morceaux de papiers qui fuient anarchiquement les poches d'un jean de seconde main, les cheveux en bataille ; tout chez lui inspire le gamin trop sûr de lui qui a choisi la solution du départ à l'arrache. Pourtant ça fait quelques temps qu'il prévoit de se tirer aux states pour changer d'horizon — parce qu'il le peut, parce qu'on lui laisse le choix, parce qu'il en a marre et qu'il sait déjà où il va (même s'il aurait apprécié pouvoir s'aventurer dans le continent au hasard) — pour changer de vie et voir de nouvelles têtes. Parce que y'en a marre de la routine familiale — et peut-être, peut-être qu'il y a aussi le fait qu'il n'en puisse plus de voir les iris céruléens de sa sœur se promener sur lui sans qu'il puisse faire quoi que ce soit pour la sortir de son état. Cam est jeune, il sait pas gérer sa trouille dans ce genre de situation. Sa solution à lui, c'est de fuir. Il traverse la route sans trop regarder — après tout si une voiture décide de le faucher là, tout de suite, ça ne sera de refus pour personne. Non pas qu'il envie le scénario de quelque manière que ce soit ; il se demande juste un peu à quoi il sert, après tout.
« Hé Cam ! » l'adolescent s'adosse à la pancarte bancale de l'arrêt de bus et fait sauter la cigarette derrière son oreille pour en saisir le bout entre son pouce et son index.
« Qu'est ce que tu fous ici Manu ? » le garçon qui lui fait face, un peu trop blond, un peu trop petit et rondouillard traverse la route avec un paquet à la main. Il s'arrête, un peu plus d'un mètre le sépare de Camillo qui tire nonchalamment sur sa clope et recrache la fumée avec appréhension.
« C'est de la part de m'man. » il coince le bâton bicolore entre ses lèvres et intercepte le paquet qu'on lui lance.
« Un sandwich ? » le blond acquiesce du regard. Il tire spasmodiquement sur son t-shirt délavé alors que Camillo écrase sa cigarette contre le poteau.
« Dis ils vont pas te manquer ? » il fixe le sol et laisse échapper un son vacillant entre le soupir et le rire nerveux.
« Sûrement. » il ne sait pas trop ; il sait pas dire que quelque chose va lui manquer avant d'avoir ressenti ledit manque. Peut-être qu'au fond ça lui fait peur, le manque d'eux.
« Même ton enculé de frère ? » son visage s'assombrit brusquement, ses sourcils en bataille se froncent.
« Tu parles pas d'mon frère comme ça p'tit con. » « Mais c'est toi qui tout le temps que … » « J'en ai rien à branler tu parles pas de lui comme ça c'est tout. Dégage. » le garçon hésite, fait un pas en avant, s'immobilise, regarde Camillo sortir une autre cigarette de son sac.
« DÉGAGE JTE DIS. » — il est le SEUL a avoir le droit de traiter son connard de frère d'enculé.
Le gamin disparaît dans un nuage de poussière. Au même moment, le bus daigne enfin pointer le bout de sa carrosserie. Cam plonge sa main dans une de ses poches, laisse maladroitement quelques morceaux de papiers — vieux emballages, papiers importants, cartes d'identité, tout y passe — et sort enfin quelques euros qu'il fait sauter au creux de sa main abîmée par les conneries qu'il a pu faire sur les toits. Il grimpe dans le bus à petites foulées et s'accroche à l'une des barres jaunes sous le regard des autres passagers — qui semblaient déjà être entassés là depuis un certain temps.
« C'était la connerie de trop, Camillo. » il entend une porte se refermer, sent une odeur qui lui est complètement inconnue lui agresser les narines et essaye de se dresser sur ses coudes — des fils, partout, qui l'enlacent et le collent à ce foutu lit d'hôpital. Le garçon serre les dents, fouette vainement l'air de ses grognements puérils et se lève un peu plus haut.
« Aïe putain fais chier. » il secoue rageusement sa tête et frappe sur son lit comme un gamin qui piquerait un caprice. Sa tête se tourne vers les machines qui clignotent et bruitent en chœur. Qu'est ce qu'il fout ici. Pourquoi ce genre de merde n'arrivent qu'à lui ? C'est normal qu'il n'sente plus le bout de ses orteils ? Il cligne rapidement des yeux et capte dans le coin de la chambre une lumière blafarde.
« T'es qui toi ? » avec le jeu de lumière il croit reconnaître la silhouette de Houna. Il plisse les yeux pour s'assurer que c'est bien elle et se laisse finalement tomber sur le matelas, épuisé par l'effort pourtant mince.
« Qu'est ce que tu fous là ? » « Venue m'excuser de t'avoir poignardé. » « Hein ?! » elle progresse vers l'interrupteur qu'elle actionne du bout de son index et s'adosse au mur crémeux. Reste sereine malgré l'air médusé qui s'est imposé sur le visage de Camillo.
« C'est moi qui ai appelé les urgences, j'rigolais. » ses yeux firent un tour complet dans leurs orbites tandis que Camillo toussotait en essayant de se dresser au maximum sur son lit au confort très médiocre.
« Et j'suis surtout restée pour te prévenir que le vieux t'avait potentiellement foutu à la porte après avoir prévenu ta famille que t'étais dans la merde. L'hôpital te fournit les soins minimum et t'es en fin de séjour. » ENFIN une bonne nouvelle ; il est en fin de séjour. Ses paupières sont lourdes et se ferment lentement. Mais il ne s'endort pas, impossible de laisser son esprit tomber pleinement dans le sommeil — la douleur dans son abdomen le berce hargneusement alors, il vacille entre les deux mondes.
« Tu te souviens ? » « Me souvenir de quoi ? » elle souffle sur sa frange en bataille, se gratte le crâne et attrape son casque de moto. Ça veut dire qu'elle s'en va ? Qu'elle le laisse ici ? De toute façon, une infirmière déboule dans la chambre avec une seringue grosse comme un piston de 4L.
« Nan tu d'vais avoir un peu trop bu laisse. Oh j'oubliais de te dire, j'crois que c'est ton grand frère chéri qui va débarquer sous peu à White Oak. » ugh. il n'a pas vraiment le temps d'ajouter quoique ce soit — ou même de la contredire — puisque l'infirmière à son chevet, après avoir tamponné ton bras avec un coton imbibé d'alcool — un truc dans l'genre qui pue l'antiseptique — préparait sa seringue.
« Pour que vous finissiez la nuit, monsieur Da Costa. » elle enfonce la seringue, Cam grimace, Houna glousse comme une pauvre oie et disparaît dans la noirceur du couloir d'hôpital jouxtant sa chambre.
« Et demain je peux me tirer à quelle heure ? » il sent le liquide courir dans ses veines et l'engourdissement se fait très vite, ses yeux roulent, ses paupières lâchent.
« Dès qu'on vous aura retirer tous ces fils. » Le regard presque hautain, l'air dédaigneux, Ismaël ne quitte pas des yeux les bandages, pansements et autres moyens de recouvrir plaies et blessures que porte Camillo
« Alors, t'as une explication ? » les pupilles du plus jeune se promène sur les paumes de ses mains sans qu'il ne daigne expliquer clairement à son frère chéri comment il a bien pu se foutre dans une merde pareille. Il tire lascivement sur sa cigarette, passe sa main dans ses cheveux en bataille, réitère le mouvement jusqu'à ce qu'ismaël esquisse un geste agacé.
« C'est bon, j'suis pas mort. C'est ce que t'étais venu vérifier non ? » il n'a rien à se reprocher, il soutient même son regard chargé de reproches prêtes à être balancées au moindre hochement de tête de travers de la part de Cam. Il aurait pu se faire une bonne image, pour une fois, et ne pas pousser à bout de nerfs un pauvre couple un peu trop gentil pour refuser de le foutre à la porte après la première connerie. Il aurait pu être un mec un peu mieux, voir bien, agir dans les normes, penser que tout le monde ne gravite pas autour de sa petite personne. Quoique Camillo n'est pas spécialement égoïste, il a juste toujours veillé à rester à l'écart des autres — il est tout sauf associable, adore attirer l'attention sur sa petite personne mais dieu ce qu'il a en horreur le travail de groupe et tous ce qui s'en rapproche. Il se met dans la merde, tant pis pour lui, il emporte personne avec lui et ça lui va. Par contre, s'il réussit à s'en sortir brillamment, qu'on ne vienne pas réclamer sa part du marché, il s'est démerdé tout seul, il récolte tout seul.
« T'es vraiment qu'un p'tit branleur tu viens de foutre en l'air le seul boulot potable que t'avais putain. » l'adolescent, flatté par les paroles de son aîné, écrase son mégot sur le muret et souffle un dernier nuage opaque. Il attend un peu, qu'il se calme, ou qu'il passe à autre chose, une minute s'écoule avant que Camillo ne se lève, les mains dans les poches de sa veste, le regard vague.
« Elle va bien, Lula ? » à l'entente de ces mots, l'expression de son visage s'adoucit, Camillo lui, regarde le sol en appréhendant la réponse de son frère. Il sait pourtant que lorsqu'on parle de Lula, ça calme. Cam capte l'acquiescement d'Ismaël qui passe une main sur sa nuque — sûrement un tic nerveux, un truc du genre. D'un geste vif il attrape le sac qu'il a jeté sur le sol poussiéreux auparavant et le balance adroitement sur son épaule droite.
« T'façon je trouverai bien un truc pour dépanner, tout me va tant que j'ai pas à r'tourner là-bas. » il hausse les épaules et shoote dans un cailloux en se retournant.
« Tu restes un branleur et t'as même plus de piaule où crécher maintenant. » Cam lâche un rire — plus pour la forme que pour montrer une quelconque émotion — et crache négligemment sur le sol. Il n'sait pas trop s'il s'en fiche totalement ou partiellement — il faut le dire, il s'en fiche un minimum, vu le nombre de squattes qu'il connaît.
« J'peux encore me débrouiller, tu vois. » il s'éloigne en faisant un faisant un signe bref et à peine significatif de la main. La voix d'Ismaël se brise dans l'air mais Camillo est encore assez près pour l'entendre dire
« Dis plutôt que dans moins d'une semaine tu te pointeras chez moi pour que j't'héberge ! » pour unique réponse, le garçon alluma une nouvelle cigarette et passa une main dans ses cheveux.
(copyright romane aka ismaël qui m'a indirectement donné l'idée pour le prénom Houna )